bibliotheque internationale pour un monde responsable et solidaire ritimo

Le portail rinoceros d’informations sur les initiatives citoyennes pour la construction d’un autre monde a été intégré au nouveau site Ritimo pour une recherche simplifiée et élargie.

Ce site (http://www.rinoceros.org/) constitue une archive des articles publiés avant 2008 qui n'ont pas été transférés.

Le projet rinoceros n’a pas disparu, il continue de vivre pour valoriser les points de vue des acteurs associatifs dans le monde dans le site Ritimo.

ABDOLLAHI Khosrow , DREANO Bernard, Institut Kurde de Paris, JOBERT Pierre , MARNELI Soheila

Kurdes et Kurdistan

  • imprimer
  • envoyer
  • Augmenter la taille du texte
  • Diminuer la taille du texte
  • Partager :
  • twitter
  • facebook
  • delicious
  • google

> Peuples en marche, n°188, septembre 2003

Peuple sans Etat le plus nombreux du monde, les Kurdes sont 30 millions, disséminés de part et d’autre des frontières de la Turquie, de l’Irak, de l’Iran et de la Syrie. Quelques-uns vivent en Arménie ou en Azerbaïdjan, et une importante diaspora existe à l’intérieur des villes de Turquie et en Europe occidentale. La redistribution des cartes consécutive à la chute de Saddam Hussein et à l’occupation américaine de l’Irak, va être décisive pour l’avenir des Kurdes.

Dossier réalisé avec le concours de la fondation France-Libertés.

Sommaire

  • De l’Ardalân à la première guerre du Golfe : une histoire contrariée
  • De la guerre du Golfe à celle d’Irak : un printemps kurde
  • Après la Guerre d’Irak... quel avenir pour le Kurdistan ?
  • Les Kurdes en Irak
  • Kurdes d’Iran, de Syrie et de Turquie
  • Les kurdes d’Europe, une diaspora récente
  • La France et la question kurde : un désintérêt historique ?


De l’Ardalân à la première guerre du Golfe : une histoire contrariée

Par Soheila MARNELI.

C’est vers 1150 qu’apparaît pour la première fois le mot Kurdistan pour désigner cette région où vit un peuple, quelque part entre la Perse et l’Empire ottoman. Par la suite, les traités ont été nombreux concernant les frontières de la région. Mais il y a eu souvent loin du contenu de ces traités - le droit des Kurdes à l’autonomie a été plusieurs fois reconnu, celui à l’indépendance a même été évoqué - à leur application.

Peuple autochtone d’environ 30 millions de personnes, les Kurdes, descendants des Mèdes, sont divisés entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie, avec une forte diaspora d’environ 850 000 personnes en Europe occidentale, principalement en Allemagne mais aussi en France et dans les pays scandinaves. Ils parlent le kurde, langue appartenant au rameau iranien des langues indo-européennes. La très grande majorité des Kurdes est musulmane. C’est un peuple sans patrie, l’un des groupes ethniques le plus important du monde non constitué en Etat indépendant.

Le Kurdistan persan, y compris le Luristan, faisait partie, jusqu’au XIIIème siècle, de la province que les Arabes appelaient Djibâl. Cette province se limitait aux villes de Rey, Isfahân, et Hamadân d’une part, et les villes situées entre les montagnes de Hamadân et les frontières d’Azerbâïdjân. Comme aujourd’hui, la population dominante de cette région étaient les Kurdes. La province entre Kermânshâh et l’Azerbâïdjân portait le nom d’Ardalân, avec pour capitale, la ville de Senna. Au Moyen-Age, la ville principale était Dinâwer, située près du mont Bisotoun. Shehrizour se trouvait au sud-est de Sulemanieh, près de l’actuelle frontière irano-irakienne. Le Kurdistan, dit turc et irakien aujourd’hui, était une région comprise dans la Djazirah.

Le mot Kurdistan apparaît vers 1150. Le sultan Sandjar, le dernier grand souverain seldjoukides, créa une province nommée Kurdistan. Elle comprenait les régions situées entre l’Azerbâïdjân, et le Luristân (Senna, Dinâvar, Hamadân, Kermânshâh), ainsi que certains territoires situés à l’ouest de Zagros (Sharizour, Khuftiyân ou Koy Sindjâk).

Naissance du Kurdistan

La première division géographique des Kurdes entre la Perse et l’Empire ottoman remonte au XVIème siècle. Lorsqu’à la bataille de Tchâldirân du 23 août 1514, le sultan Selim 1er vainc le shâh Ismaïl, fondateur de la dynastie chiite des Safavides, la majorité des chefs kurdes se rallie au souverain ottoman, en partie, par l’opposition au nouveau pouvoir chiite en Perse.

Une fois incluses dans l’Empire ottoman, les cinq principautés héréditaires kurdes créées à partir du Xème siècle, gardent leurs dynasties avec la transmission du pouvoir directement de père en fils. Il s’agit des Marwânides de Diyarbakir et de Djazirah, des Hasanwaides de Dinâwer et Shehrizour, des Fadluyides du Grand-Lur, des princes du Petit Lur et des Ayyubides. Par ailleurs, malgré les impératifs d’un système centralisé, les Kurdes bénéficient d’un système administratif composé de seize principautés plus ou moins autonomes appelées Kürd Hükümetleri. Bénéfique pour les Kurdes, ce système permet au gouvernement ottoman de contrôler les régions lointaines du pays, situées à l’est et au sud de l’Empire, et de servir de puissante barrière face à la Perse. Ce système a fort bien fonctionné jusqu’au début du XIXème siècle.

Le traité de Zohâb (1639) délimitait une frontière-zone entre la Perse et l’Empire ottoman en relation avec le territoire des tribus habitant les régions frontalières. Ce traité servira de base à tous les accords territoriaux.

Le système administratif en Perse comprend également des principautés, dont les titulaires, nommés valis, s’occupent des vilayets. Le Kurdistan persan est alors divisé en trois régions : Senna, Moukrian et Kermanchah. Senna est érigé en principauté, dirigée par les princes Ardalan, et les deux autres régions en vilayets d’importance inégale. Les valis kurdes en Perse ont plus ou moins conservé leur autonomie jusqu’au milieu du XIXème siècle.

A partir de 1850, la réalisation des projets économiques des puissances étrangères dans la Perse et l’Empire ottoman (installation des lignes de télégraphe, construction des chemins de fer, exploitation des mines et ressources naturelles) exige des frontières stables et précises. Le traité d’Erzurum, conclu en 1847 sous l’égide russo-britannique amorce l’établissement d’une ligne frontière entre la Perse et l’Empire Ottoman ainsi que des mesures administratives nécessaires à la sédentarisation des tribus nomades, notamment kurdes.

Vers cette même période, le nationalisme et l’idée de l’Etat-nation ont fait leur percée au Kurdistan. De 1830 à 1839, le prince de Rewanduz, Mîr Mohammed, se bat pour la création d’un Kurdistan unifié. En 1847, s’effondre la dernière principauté kurde indépendante de Bohtan. L’armée ottomane est aidée et conseillée par les puissances européennes. De 1847 à 1881, de nouvelles insurrections ont lieu, toutes écrasées dans le sang.

Les accords Sykes-Picot (1915-1916), pour le partage de l’Empire ottoman, n’ont pas épargné le territoire kurde. Une grande partie du Kurdistan géographique est dans la zone d’influence russe, alors que le vilayet de Mossoul était inclus, lui, dans la zone A, sous influence française. Au lendemain de la Première guerre mondiale, Clémenceau accepte d’abandonner le vilayet de Mossoul aux Britanniques. Occupé aussitôt par les troupes britanniques et annexé en 1925 au nouvel Etat irakien, la région s’est révélée être parmi les plus riches en pétrole...

Au lendemain de la Première guerre mondiale, les Kurdes demandent la création d’un Etat indépendant. Leur représentant à la Conférence de paix de Paris, le général Chérif Pacha, dans ses deux mémorandums (février et mars 1919), revendique l’indépendance du Kurdistan au nom du principe wilsonnien des nationalités et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour être viable et se consacrer à son développement économique basé sur l’élevage, le futur Etat kurde indépendant devait - estimait le représentant kurde - comprendre toute la région habitée par les Kurdes de l’Empire ottoman.

Première reconnaissance du droit à l’autonomie

Le traité de Sèvres du 10 août 1920 (chapitre III, articles 62 à 64) prend partiellement en compte les revendications des Kurdes pour la création d’un Kurdistan indépendant. En effet, le futur Etat kurde se limite à la partie la plus pauvre et la plus montagneuse du Kurdistan : à l’est de l’Euphrate, au sud de la frontière de l’Arménie, et au nord de la frontière de la Turquie avec la Syrie et la Mésopotamie. Le riche vilayet pétrolifère et agricole de Mossoul n’y est pas inclus. Loin de satisfaire les revendications territoriales des Kurdes, ce futur Etat est conçu pour servir de tampon entre l’Arménie et la Turquie. Le traité de Sèvres demeure, pourtant, le premier instrument juridique international à reconnaître les droits des Kurdes à se constituer en région autonome promise à indépendance... dans un délai d’un an.

Mais, en dépit de sa ratification par le dernier parlement ottoman, le traité de Sèvres ne fut jamais accepté par les nationalistes turcs dirigés par Mustafa Kemal (1880-1938), ni ratifié par les parlements des pays alliés. Jusqu’à sa victoire définitive sur les Grecs en 1922, Mustafa Kemal n’a cessé de promettre la création d’un Etat musulman des Turcs et des Kurdes. Mais le traité de Lausanne du 24 juillet 1923, reconnaissant la République de la Turquie, consacra l’annexion d’une importante partie du Kurdistan à la Turquie, sans aucune garantie concernant les droits des Kurdes. En fait, à Lausanne, le critère retenu pour identifier les minorités était la religion. Les textes des articles traitant de la question des minorités ont été rédigés en termes de minorités religieuses. Si les Arméniens ont pu bénéficier d’une certaine reconnaissance théorique de leurs droits, les Kurdes, majoritairement musulmans, n’ont même pas obtenu le statut de minorité.

Auparavant, l’accord franco-turc du 20 octobre 1921, avait annexé à la Syrie, sous mandat français, les provinces kurdes de Djezireh et de Kurd-Dagh. Le sort du riche vilayet de Mossoul fut réglé le 16 décembre 1925, par la Société des Nations, qui estimait que l’Etat irakien, pour être viable, devait comprendre les richesses agricoles et pétrolières de cette province.

Depuis, le territoire kurde est morcelé, le peuple kurde est partagé entre quatre Etats : Turquie, Syrie, Iran et Irak. Sa lutte pour la reconnaissance de ses droits fondamentaux n’a pas cessé, mais sa division entre quatre Etats hostiles à ses revendications, a ensanglanté son histoire tout au long du XXème siècle.


De la guerre du Golfe à celle d’Irak : un printemps kurde

Depuis la fin de la première guerre du Golfe, le Kurdistan d’Irak a vécu “à l’abri” du régime de Saddam Hussein, au nord d’une ligne marquée par le 36° parallèle. Une expérience originale - quoique conflictuelle - qui pourrait donner quelques idées...

Gérard Gautier a quitté le Kurdistan irakien le 10 août dernier. Depuis 1999, il enseigne les sciences humaines et le français à Erbil et Sulemanieh, deux des trois universités du Kurdistan irakien. Il est également l’un des fondateurs de l’Institut français des langues qui, depuis 2002, accueille des étudiants kurdes [1].

- Peuples en marche - De 1991 à 2003, les Kurdes d’Irak ont vécu “à l’abri” de la ligne d’exclusion aérienne, décidée après la première guerre du Golfe, au nord du 36ème parallèle. Ils y ont connu une autonomie de fait, des élections libres ont été organisées en 1992... Que retenir de cette expérience ?

Gérard Gautier - D’abord, il faut préciser que la zone située au nord du 36ème parallèle ne correspond pas à la géographie humaine du pays : une part importante des Kurdes d’Irak vit au sud de cette ligne, et n’a donc pas été protégée par elle. De plus, la zone gérée par les Kurdes depuis 1991 ne correspond pas non plus à celle de la Région autonome du Kurdistan officielle... La ligne de cessez-le-feu avec les troupes de Saddam constitue ce qu’on appelle la “ligne verte”... La situation sur le terrain est donc assez complexe, et rendue encore plus complexe par la politique d’arabisation systématique menée par le parti Baas dans les zones kurdes sous son contrôle.

Reste qu’effectivement les élections de 1992 - qui de l’avis des observateurs ont été libres - ont constitué un temps extrêmement fort, structurant pour la population qui s’est déplacée en masse pour voter. Mais le résultat des élections (l’UPK et le PDK sont arrivés à quasi-égalité dans les urnes) a été source de tensions. Les conflits d’intérêts ont été nombreux. Exemple : chacun des partis avait constitué durant les années d’oppression sa propre armée de peshmergas, et comptait d’autant moins s’en défaire que Saddam Hussein restait au pouvoir au sud. Chacun des partis a donc voulu conserver son armée... qu’il fallait bien rémunérer. Hors de question donc pour eux d’abandonner à un nouveau gouvernement leurs sources de revenus, générés par exemple par le contrôle d’un passage à la frontière turque... Deux gouvernements recouvrant chacun une région du Kurdistan d’Irak (un UPK et un PDK), se sont donc constitués, chacun avec son Parlement. Des combats, attisés par les Etats voisins (l’Iran et la Turquie n’étaient pas mécontents de voir les Kurdes d’Irak s’entre-tuer), ont opposé ces deux camps. Il faut se souvenir que la géographie “emprisonne” les Kurdes d’Irak, et contraint chaque partie à s’adosser à une frontière.

La situation évolue en 1994/1995, avec la résolution dite “Pétrole contre nourriture” qui, en dépit de toute ses ambiguïtés, joue un rôle important : elle permet l’arrivée de rations alimentaires et le financement d’infrastructures (routes, bâtiments scolaire, adduction d’eau...).

A partir de 1999, la tension se fait moins vive entre les deux parties : les combats cessent, et les contrôles sur les routes entre les deux secteurs kurdes se font moins nombreux. La population a joué un rôle non négligeable dans cette évolution : très vite, elle s’est montrée hostile à cette guerre fratricide, y compris d’ailleurs à l’intérieur des deux camps.

Ce repprochement s’est accentué et a conduit à la réunification, le 6 octobre 2002, du parlement régional kurde, divisé depuis la guerre fratricide. Cette réunion commune des députés des deux principaux partis a constitué un temps politique et symbolique fort au Kurdistan, permettant de dépasser les clivages. En outre, la présence de Danielle Mitterrand [2] a amplifié la portée de cet événement... en même temps qu’elle a suscité un grand mécontentement de la Turquie.

- Pem - Justement, où en est la société civile au Kurdistan d’Irak ?

G.G. - La société civile au Kurdistan a été très affaiblie par l’émigration d’une grande partie de la classe moyenne après 1991, qui avait déjà beaucoup souffert de la répression du régime de Bagdad avant cette période.

La “guerre civile” a également créé des pressions extrêmement fortes dans la société, peut-être même plus fortes qu’une guerre extérieure, en divisant entre elles des familles dont les membres ont été “aspirés” par les partis politiques.

Pourtant, force est de constater que ces partis ne sont pas monolithiques et qu’il existe en leur sein des clivages. De tous temps, les Kurdes ont d’ailleurs entretenu une solide tradition de l’expression, et une forte culture de la publication... Depuis 1999, le Kurdistan d’Irak connaît une sorte de “glastnost”, à la manière de l’URSS de Gorbatchev.

Enfin, de nombreuses organisations kurdes non politiques - même si elle entretiennent des liens complexes avec chacun des deux gouvernements de la Région kurde - se sont développées depuis 1991 et contribuent, avec des intellectuels indépendants, à un indéniable développement de l’expression de la société.

La société kurde est complexe, travaillée par les rivalités politiques, les séquelles de la politique baassiste, les conséquences de l’embargo, la présence massive des Nations Unies depuis 1994. Enfin, les problèmes tribaux subsistent. Ils ne dominent pas la vie du Kurdistan - même s’ils y jouent un rôle.

- Pem- Comment a été vécue la guerre d’Irak ?

G.G - Elle a suscité beaucoup d’inquiétudes, même si les Kurdes savaient qu’ils ne seraient pas directement visés. Mon impression est qu’ils ont été d’une prudence de Sioux vis-à-vis des Américains, tout en restant très inquiets à la fois des réactions éventuelles de Saddam (la possibilité d’une attaque chimique) et de la possibilité d’une intervention turque. Ils ne sont donc pas entrés dans la guerre. Les grandes villes se sont un temps vidées, parfois jusqu’à la moitié de leur population. Puis les gens sont revenus.

- Pem - Depuis la fin de la guerre, où en est-on ? Le “36ème parallèle” est-il toujours une frontière ?

G.G - Il n’y a, de fait, plus personne sur cette “ligne verte”, et la coalition américano-britannique a demandé le démantèlement des points de contrôle. Lors d’une réunion avec le représentant britannique, j’ai d’ailleurs vu les associations de femmes lui expliquer leurs inquiétudes concernant leur sécurité. L’état d’esprit des Kurdes, vis-à-vis de la coalition, pourrait se résumer par la formule : « Ils sont bien gentils, mais pas capables d’assurer notre sécurité ». Même si le Kurdistan est plus sûr que le reste du pays, les Kurdes craignent que l’insécurité déborde du reste de l’Irak. Enfin, ils souhaitent surtout la réunification des deux gouvernements. Des négociations sont d’ailleurs en cours [3].

- Pem - L’évolution qu’a connu le Kurdistan irakien n’a-t-elle pas finalement conduit les Kurdes d’Irak à s’éloigner des Kurdes de Turquie, d’Iran, de Syrie ?

G.G - Je crois que cette expérience aura surtout cassé l’idée que les Kurdes ne peuvent pas s’administrer eux-mêmes. Le “pan-kurdisme” en aura sans doute souffert, mais on est passé d’une logique de lutte armée à une logique de construction d’une administration. Et cette progression pourra sans doute donner des idées à d’autres... La réalisation d’un “Grand Kurdistan” n’est plus aujourd’hui un préalable, et les approches institutionnelles peuvent être très différentes : fédéralisme, régions autonomes... Trente années de frontières ont eu un poids de fait qu’il serait suicidaire de ne pas reconnaître.

Si l’expérience du Kurdistan irakien est une réussite, pouvoir mener des expériences similaires pourrait être une prochaine revendication. D’où la peur de la Turquie de voir à ses frontières, dans une quinzaine d’années, un Kurdistan économiquement viable et dans lequel la population respire plus librement. Ce pays n’a jamais su poser de manière politique son “problème kurde” : sa réponse a toujours été formulée en termes répressifs. Pour les Kurdes aujourd’hui, l’enjeu est de parvenir à un processus graduel, qui se déroulerait sous l’œil de la communauté internationale.


Après la Guerre d’Irak... quel avenir pour le Kurdistan ?

Les aspirations à l’autonomie du peuple sans Etat le plus nombreux du monde ont été réprimées tant en Turquie et en Iran qu’en Irak. 50% des Kurdes vivent en Turquie, 25% en Irak, 18 % en Iran, 3% en Syrie, le reste en Arménie et en Azerbaïdjan. A cela il faut ajouter aujourd’hui une importante diaspora, à l’intérieur de la Turquie (à Istanbul, Ankara, Izmir), et en Europe occidentale, principalement en Allemagne.

En Irak, Saddam Hussein, qui fait figure de bourreau des Kurdes depuis l’opération “Anfal” de purification ethnique en 1988 (gazage d’Halabja), est tombé voilà quelques mois. C’était pourtant en Irak, justement, que la révolution anti-monarchique de 1958, avait laissé espérer une autonomie pour les Kurdes, reconnue sur le papier en 1958 puis en 1970, sans cesse bafouée, surtout après 1974 sous le régime de Saddam. Depuis, dans les affrontements régionaux, entre Turquie, Iran et Irak, chacun a cherché à manipuler les Kurdes de l’autre tout en réprimant les siens. Le pire a donc été atteint avec la guerre Iran-Irak (1980-1989) et l’opération irakienne “anfal” de purification ethnique en 1988 (gazage d’Halabja). Durant cette période, la situation s’est aussi durcie au Kurdistan turc, avec le développement, à partir de 1977, du Parti des Travailleurs du Kurdistan et la sanglante guerre qui va durer jusqu’à la fin des années 90.

Manipuler les Kurdes de l’autre tout en réprimant les siens

La “guerre du Golfe” de 1991 s’est terminée par une révolte kurde, réprimée par les troupes de Saddam Hussein, puis protégée par une intervention des Français, Britanniques et Américains, permettant la création d’un Kurdistan autonome dans les provinces de Sulemanieh et d’Erbil. Ce petit territoire a d’abord connu le pire, une guerre entre les partis kurdes, puis après l’accord PDK-UPK, le meilleur avec une certaine prospérité.

La redistribution des cartes consécutive à la chute de Saddam Hussein et à l’occupation américaine de l’Irak, va être décisive pour l’avenir. En Irak, les mouvements kurdes ont étendu leur influence aux villes de Mossoul et Kirkouk, dans une région pétrolière, mais ils doivent compter avec les populations arabes (en partie “importées” par la politique de purification ethnique de Saddam) et les autres minorités (Turkmènes notamment) qui se méfient d’une hégémonie kurde. Les leaders kurdes jouent l’apaisement : « Nous n’exigeons pas un pouvoir régional excessif » souligne Jalal Talabani de l’UPK (lire encadré sur les partis politiques en p.11), notre rôle « est à Bagdad avant d’être au Kurdistan pour restructurer un nouvel état » et « pour aider les forces démocrates, libérales, communistes, socialistes, laïques, à faire face aux fondamentalismes » . [4]

Pour lui, comme pour son rival Massoud Barzani du PDK, le petit Kurdistan autonome « a constitué la première pierre du fédéralisme et de la démocratie irakienne » [5]. Ce scénario d’extension progressive de la stabilité à partir des montagnes kurdes, auquel semblent avoir cru certains dirigeants américains, s’avère difficile à mettre en pratique. Les leaders kurdes irakiens jouent “l’irakité” et ne semblent pas vouloir courir le risque d’une indépendance kurde qui aurait des effets considérables en Iran et en Turquie. Mais comment réagissent les dirigeants de ces pays ?

L’Iran entre intérêt et appréhension

La direction iranienne est divisée, entre libéraux et conservateurs, et les conservateurs qui tiennent les principaux leviers du pouvoir regardent avec intérêt et appréhension ce qui se passe en Irak. Intérêt en constatant la vigueur du mouvement chiite, appréhension, car une partie de la jeunesse peut imaginer que la chute de Saddam préfigure celle des mollahs, et par les réactions de la population kurde. En cas de déstabilisation du régime, les velléités autonomistes voire séparatistes de certains des peuples non-perses qui composent l’Iran peuvent se réveiller. C’est en particulier au nord-est du pays le cas des Kurdes et des Azéris. 10 millions d’Azéris vivent dans la région de Tabriz, et 6 millions dans l’Azerbaïdjan voisin [6] où certains partis y appellent à la création d’un « grand Azerbaïdjan ». Les 6 millions de Kurdes d’Iran suivent aussi avec attention ce qui se passe, même si le Parti Démocratique Kurde d’Iran n’a pas encore trouvé un leader remplaçant le charismatique Abdul Rahman Ghassemlou assassiné par des agents iraniens en 1989.

La Turquie bousculée

En Turquie, les enjeux sont encore plus considérables. L’armée turque, véritable pilier du pouvoir, a deux principes fondamentaux. Le premier date de l’instauration d’une république qui se veut « laïque, une et indivisible » et ne supporte pas l’idée même d’une minorité, les 12 millions de Kurdes sont donc “Turcs” et la langue kurde n’a cessé d’être interdite que très récemment suite aux pressions européennes. Le second est l’alliance avec Washington et l’intégration dans l’Otan.

Ces deux principes sont aujourd’hui quelque peu bousculés, alors même que les militaires croyaient avoir réglé la question en écrasant la guérilla du PKK (après des dizaines de milliers de morts, des centaines de villages détruits) et en mettant la main sur son leader Abdullah “Apo" Ocalan en 1999. Ces militaires doivent composer avec le gouvernement islamiste-démocrate de Recep Erdogan qui ne partage pas leur obsession anti-kurde et l’atlantisme a été mis à mal par l’alliance privilégiée des Américains avec les partis kurdes d’Irak. Depuis des décennies, outre sa chasse au PKK, l’armée est parvenue à faire interdire tous les formes légales d’expression politique kurde (le parti Démocratique Kurde Hadep) et à faire emprisonner des élus locaux ou nationaux, notamment la courageuse députée Layla Zana. Le parti Dehap qui a succédé au Hadep est aujourd’hui menacé à son tour... Or, deux faits nouveaux viennent rendre cette répression incessante moins facile : d’une part les négociations pour une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne et d’autre part l’abandon de la lutte armée par le PKK (reconverti en Kadek), même si celui-ci est loin d’avoir mis en œuvre une stratégie crédible.

Les militaires turcs, incapables de concevoir d’autres manières de régler “le problème kurde” que le bâton, empêchent la Turquie d’adopter la politique un temps esquissée par feu le président Türgut Ozal au début des années 90 : reconnaître le fait kurde, puis jouer à fond les atouts économiques culturels et géopolitiques de la Turquie dans toute la région. Car si la Turquie ne dispose pas du pétrole de Mossoul, elle dispose d’un autre atout maître : l’eau. Les débits du Tigre et de l’Euphrate, indispensables aux agricultures de l’Irak et de la Syrie, dépendent des barrages turcs : de quoi peser dans une négociation bien comprise.

En fait, la question kurde a depuis déjà longtemps changé de nature en Turquie dans la mesure où elle ne concerne plus l’autodétermination d’un peuple sur le territoire du Kurdistan mais les relations de deux peuples étroitement mêlés l’un à l’autre car vivant principalement dans les villes, y compris Berlin ou Bruxelles d’où émet Kurd-Is, la télé des Kurdes. Les choses commencent à ressembler à cela en Irak. Et l’on pourrait imaginer une situation où les Kurdes seraient pour leur bonheur, le liant de la région et non, pour leur malheur, le lieu de fracture. Cela ne semble pas être inclus dans la feuille de route actuelle des Américains... Et celle des Européens ?


Les Kurdes en Irak

Sous le mandat britannique, le Kurdistan irakien a connu les révoltes, en 1919 et en 1923. S’appuyant sur les principes “wilsonniens”, notamment le point 12 de la déclaration du président américain, les Kurdes revendiquent alors le droit du peuple kurde à l’autodétermination. Les Britanniques répriment ces soulèvements. Après la prise du pouvoir par le général Kassem, les Kurdes irakiens connaissent une courte période de paix. A partir de 1961, le général Barzani prend la tête d’un soulèvement, et obtient le 11 mars 1970 un accord pour l’autonomie du Kurdistan. Mais la délimitation de la zone autonome, et notamment le refus d’y inclure des villes pétrolifères telles que Kirkouk, est à l’origine du soulèvement kurde de 1974, soutenu par l’Iran du Shah, Israël et les Etats-Unis. Après la signature des accords d’Alger en 1975 pour la délimitation du Chatt-el-Arab entre l’Iran et l’Irak, le Shah lâche le général Barzani... et le mouvement s’effondre.

Les Kurdes irakiens connaissent alors une farouche répression de la part du régime du parti Baas, mais il faut attendre le gazage de la ville de Halabja en mars 1988, et les campagnes de nettoyage ethnique, dites Anfal (du 23 février 1987 au 6 septembre 1988), avec leurs 182 000 victimes et disparus, pour que les ONG de défense des droits de l’Homme accusent le régime irakien de crimes contre l’humanité et tentatives de génocide.

Au printemps 1991, le soulèvement kurde et chiite, à l’appel des Alliés de la guerre du Golfe, est un échec total. Le commandement américain laisse le régime de Saddam utiliser sa Garde républicaine, ses hélicoptères et l’artillerie lourde contre les civils. 130 000 civils Chiites sont massacrés, deux millions de Kurdes fuient vers la Turquie et l’Iran. Face à l’exode, le Conseil de sécurité de l’Onu adopte, le 4 avril 1991, la résolution 688 demandant à l’Irak de mettre fin à la répression à l’encontre de ses populations civiles. L’opération Provide Comfort, mise en place par les Alliés, conduit à la création d’une zone de sécurité au nord du 36ème parallèle. Cette zone couvre les deux tiers de la superficie totale du Kurdistan irakien, soit 80 000 km2.

Depuis, indépendante de facto, la Région autonome du Kurdistan est dirigée par un gouvernement régional du Kurdistan, créé en juin 1992, à la suite des premières élections libres de mai 1992. Depuis la fin de la guerre en Irak, les deux gouvernements envisagent de fusionner.


Kurdes d’Iran, de Syrie et de Turquie

Par Khosrow ABDOLLAHI et Soheila MARNELI.

Les Kurdes en Turquie

Depuis l’instauration de la République de la Turquie, en 1923, toutes les révoltes kurdes sont sauvagement réprimées dans le sang. Le bilan est particulièrement lourd sous la présidence de Mustafa Kemal : l’armée turque écrase dans le sang la révolte de cheikh Saïd (1925), le soulèvement d’Ararat (1930), et la révolte du Dersim (1937). Le gouvernement exaltant le nationalisme turc, opte pour une politique d’assimilation à l’encontre des Kurdes, politique basée sur les déportations massives et l’élimination physique des chefs politiques, intellectuels et religieux kurdes. L’emploi même du mot “kurde” est interdit . Apparaît une nouvelle expression : les “Turcs montagnards”...

A partir des années 50, la Turquie connaît une démocratisation, encadrée par l’armée et ponctuée de trois coups d’Etat (1960, 1971 et 1980). Des partis politiques apparaissent. Les Kurdes militent d’abord au sein des partis turcs de gauche, mais leur position politique se radicalise à partir du coup d’Etat de 1971. Ils fondent alors des organisations politiques kurdes, dont le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, 1974). Son programme, mélange de marxisme et de nationalisme, prône l’indépendance. Le PKK rassemble alors essentiellement des paysans kurdes autour de ses idéaux.

Mais suite au coup d’Etat de 1980, une vague de répression farouche ouvre la voie au conflit armé. La guerre civile, qui oppose la guérilla kurde à l’armée turque, commence en 1984 et durera presque 15 ans. Les cessez-le-feu unilatéraux proclamés par le PKK en 1993 et 1997 restent sans réponse, et l’armée turque mène une véritable campagne de terreur à l’encontre des Kurdes. Cette guerre impitoyable, qui se déroule loin des caméras et des médias du monde, fait plusieurs dizaines de milliers de morts (notamment parmi la population civile kurde), détruit plus de 4 000 villages et conduit au déplacement de plus de trois millions de paysans kurdes vers la périphérie des grandes villes de Turquie.

Sous la pression turque, la Syrie accepte de retirer son soutien au PKK et, en octobre 1998, Abdullah Ocalan, le leader du PKK, se réfugie en Europe. Aucun pays européen ne lui accorde l’asile politique. Réfugié à l’ambassade de Grèce à Nairobi, il est kidnappé par un commando turc en février 1999. Ocalan est jugé et condamné à mort. Sa peine sera commuée en perpétuité. Ocalan est le seul prisonnier de la prison de l’île d’Imrali. En 2002, le PKK renonce à la lutte armée pour devenir un parti politique.

Les partis politiques pro-kurdes qui se créent en Turquie sont interdits les uns après les autres. Dernier à avoir subi ce sort : le Hadep. Quatre parlementaires d’origine kurde, dont Leyla Zana, condamnés à 15 ans de prison en 1994, sont toujours derrière les barreaux en dépit de la condamnation, en juillet 2001, de la Turquie pour procès inéquitable par la Cour Européenne des droits de l’Homme. Sous la pression du Conseil de l’Europe, une nouvelle parodie de procès s’est ouvert en mars 2003.

Au mois d’août 2002, le Parlement turc a adopté une série de réformes afin de se conformer aux critères de Copenhague, condition sine qua non d’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne. La Turquie accepte l’apprentissage et l’enseignement, ainsi que la diffusion d’émissions radio-télévisées dans d’autres langues que le turc. Mais en pratique, les conditions imposées par les autorités rendent inapplicables les mesures adoptées.

Les Kurdes en Syrie

En Syrie, la minorité kurde, estimée à environ deux millions de personnes, revendique la reconnaissance de ses droits culturels. Mais le Parti démocratique du Kurdistan de Syrie, créé en 1957, est interdit depuis 1959. Il en va de même pour les publications en kurde ou la création d’associations kurdes. En 1962, l’application de la politique de nettoyage ethnique, privait 120 000 paysans kurdes de leurs pièces d’identité, sous prétexte qu’ils seraient venus d’autres pays. Aujourd’hui encore, plus de 300 000 Kurdes sont apatrides sur leur propre sol. En 1963, la politique de la “ceinture arabe” a déplacé des dizaines de milliers de paysans kurdes.

La pauvreté, la répression politique et le sous-développement sont à l’origine du départ de milliers de Kurdes en exil, vers les grandes villes syriennes ou vers l’étranger, l’Europe en particulier.

Les Kurdes en Iran

Le Kurdistan iranien a également connu des soulèvements sanglants et des périodes de répression intense. Au XXème siècle, l’histoire des Kurdes en Iran est marquée notamment par la création, en janvier 1946, de la République de Mahabad. Ephémère et de courte durée, cette tentative démocratique s’est effondré 11 mois après sa création. Le Président élu de cette République, ainsi que ses proches collaborateurs, ont été exécutés et nombre de Kurdes emprisonnés ou exilés. Le PDKI (Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran), créé un an plutôt, entre en clandestinité jusqu’à 1979, date de la révolution iranienne.

Depuis l’avènement de la République islamique, la population kurde a connu de multiples violations de ses droits élémentaires. à la demande d’octroi d’une autonomie régionale dans le cadre de l’espace géographique de l’Etat iranien, le régime, après 6 mois de tergiversations et de pseudo-négociations, opte pour la répression militaire. C’est Khomeiny en personne qui, par une fatwa, proclame le 19 août 1979 le Djihad (guerre sainte) contre la population kurde d’Iran.. L’armée se lance dans une grande offensive, bombardant villages et villes. Depuis, plus de 40 000 civils kurdes sont morts, des massacres collectifs sont orchestrés par les Gardiens de la révolution. Le conflit armé dure jusqu’à 1984. Affaiblis, les Kurdes d’Iran se retirent progressivement vers le Kurdistan irakien. Les deux partis politiques représentatifs des Kurdes d’Iran, le PDKI et le Komala, interdits d’activité en Iran, continuent de vivre en exil.

Les deux dirigeants du PDKI, le Dr. A.R Ghassemlou et le Dr. Saïd Sharafkandi, sont assassinés respectivement en 1989 à Vienne et en 1992 à Berlin, par les émissaires de la République Islamique. Contrairement à la complaisance des autorités autrichiennes, un tribunal allemand a condamné les plus hauts dirigeants iraniens dans l’affaire de l’assassinat de Sharafkandi.

Les Kurdes d’Iran n’ont aucun droit constitutionnel reconnu. Les enfants kurdes effectuent leur scolarité en persan. La région kurde est une des moins développées du pays. Entre 2002 et 2003, plusieurs prisonniers politiques kurdes ont été exécutés pour avoir soutenu ou logé des membres des partis kurdes interdits.


Les kurdes d’Europe, une diaspora récente

La formation d’une diaspora kurde en Europe est un phénomène récent. Dans les années 1960, des Kurdes de Turquie arrivent d’abord en Europe. A la suite de la Révolution islamique en Iran (1979), du coup d’État militaire en Turquie (1980), du long et meurtrier conflit Irak-Iran et de la campagne d’extermination des Kurdes (Anfal) lancées par le régime irakien... plusieurs vagues de réfugiés politiques arrivent en Europe occidentale et, dans une moindre mesure, en Amérique du Nord. A partir de 1992, la campagne d’évacuation et de destruction des villages kurdes, doublée de la politique d’assassinat des élites kurdes lancée par la Turquie, amplifient cet exode, ainsi que les affrontements inter-Kurdes au Kurdistan irakien.

La diaspora kurde d’Occident est à près de 85% formée de Kurdes de Turquie. En France, on compte entre 100 000 et 120 000 Kurdes. Cette diaspora joue un rôle culturel et politique important dans le domaine de la langue écrite, de la littérature et de la musique kurde, interdites en Turquie. La diaspora kurde a également joué un rôle politique majeur pour faire connaître à l’opinion occidentale le sort des Kurdes dans les pays où ils sont persécutés.

Cette diaspora s’inspire de l’exemple d’autres peuples, et met progressivement en place ses propres institutions, à la fois pour la sauvegarde de sa culture, mais aussi pour populariser sa cause et contribuer à une meilleure intégration des Kurdes dans leur pays d’accueil. Nombre de Kurdes participent désormais activement à la vie politique et culturelle de leur pays d’accueil comme écrivains, journalistes, artistes, musiciens, voire même comme députés.


La France et la question kurde : un désintérêt historique ?

A la fin du XIXème et au début du XXème siècle, le traditionnel soutien de la France aux minorités chrétiennes de l’Empire ottoman semble ne laisser que très peu de place aux peuples musulmans. Ainsi, à la Conférence de paix de Paris (1919), la France ne soutiendra pas l’idée de la création d’un Etat kurde indépendant. De hauts responsables français, tels que François Georges-Picot, restent sceptiques sur la création d’un Etat kurde, sur sa viabilité et en particulier sur la faculté des Kurdes à se gouverner et à s’administrer eux-mêmes. La question kurde était donc sans objet, et la création d’un Etat kurde indépendant contraire aux intérêts les plus anciens de la France et à ceux de ses protégés (Chaldéens, Syriaques ou Nestoriens).

Depuis, la France a préféré privilégier ses relations avec les Etats peu démocratiques, où vivent les Kurdes, arguant que la question relève de leurs affaires intérieures. Ses interventions en faveur des Kurdes sont plutôt à caractère humanitaire et culturel : en 1979, au Kurdistan d’Iran, les médecins et personnels médicaux des Ong spécialisées créent les premiers hôpitaux de campagne et forment du personnel local ; en 1983 le premier Institut culturel kurde est créé à Paris. Il deviendra, un an plus tard, une fondation d’utilité publique. La France accorde chaque année quelques bourses d’études aux étudiants d’origine kurde. En 1991, face à l’exode des Kurdes d’Irak, la France joue un rôle actif au Conseil de sécurité, pour la création des zones d’exclusion aérienne au nord et au sud dans le cadre de la résolution 688.

Mais, sur le plan politique, la question kurde a du mal à trouver un écho auprès des dirigeants français. Tandis qu’à l’Assemblée Nationale, des groupes d’études existent sur la question du Tibet, du Sahara Occidental et de la Palestine, la demande de création d’un groupe d’études sur la question kurde par des députés de différentes sensibilités politiques n’aboutit pas. De même, la création d’un centre culturel français au Kurdistan irakien n’a pas encore trouvé de réponse favorable.

Pourtant, les Kurdes sont francophiles et leur sympathie pour la France ne se dément pas.

[1] Un institut qui reçoit un budget de la part du gouvernement kurde, et dont la Fondation France-Libertés assure l’équipement

[2] En tant que présidente de la Fondation France-Libertés

[3] Massoud Barzani et Jalal Talabani, les leaders des deux partis kurdes, font partie du Conseil du gouvernement chargé de décider de l’avenir de l’Irak. Ils demandent la création d’un Irak démocratique, fédéral et pluraliste, dans lequel les droits des Kurdes seront reconnus et respectés à travers un statut fédéral.

[4] Entretien de Jala Talabani avec Gareth Smith, Financial Times du 11 juillet 2003

[5] “De quoi a besoin l’Irak aujourd’hui”, déclaration commune de Jalal Talabani et Massoud Barzani, New York Times du 9 juillet 2003

[6] L ‘Azerbaïdjan compte 7 millions d’habitants dont 5,8 millions d’Azéris, la situation y est tendue du fait de la disparition prochaine de son président Haydar Aliyev.

document de référence rédigé le : 1er septembre 2003

date de mise en ligne : 24 août 2004

© rinoceros - Ritimo en partenariat avec la Fph via le projet dph et la région Ile de France via le projet Picri. Site réalisé avec SPIP, hébergé par Globenet. Mentions légales - Contact

ritimo