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NARAIN Apurva, Notre Terre

Les ficelles de l’aide au développement

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> Notre Terre n° 9, juillet 2002

Lors de la Conférence internationale sur le financement du développement qui s’est tenue en mars 2002 à Monterrey, Mexique, les pays riches ont une fois de plus refusé de prendre en considération de nouvelles options qui auraient pourtant permis aux pays pauvres de se débrouiller seuls au lieu d’avoir à compter sur de vaines promesses et quelques petites aides supplémentaires. Les pays en développement devraient cesser de faire la manche. Il faut réclamer de nouvelles règles pour un commerce équitable et un système de taxation mondial pour financer le développement.

Est-ce que l’aide profite vraiment aux pays en développement ? Cette question a été plusieurs fois posée au cours des travaux préparatoires de la Conférence, et comme d’habitude du point de vue des pays industrialisés : leurs sous sont-ils bien utilisés, ne disparaissent-ils pas dans le grand trou noir de la corruption et de la mauvaise gestion ? Pour ce qui est des pays en développement, bien peu malheureusement se sont demandés : peut-on se passer de la charité des pays du Nord, de leur aide conditionnelle ? Existe-t-il d’autres façons plus efficaces de procéder, de coopérer en vue du développement et de la lutte contre la pauvreté ?

Nos leaders sont depuis longtemps comme des marionnettes entre les mains des pays riches. Partis la timbale du mendiant à la main, ils sont revenus chez eux bredouilles ou avec les miettes d’une aide conditionnée. Cette Conférence aurait pu trouver un remède aux sérieuses douleurs gastriques de nos gouvernants du Sud : elle s’est contentée d’évoquer simplement du bout des lèvres quelques moyens « innovants » pour financer le développement. Mais on est resté dans le domaine de la charité. Rien de nouveau donc. La grande nouvelle à Monterrey : George Bush annonce que la contribution annuelle des Etats-Unis serait augmentée de 5 milliards de dollars à partir de 2000. Mais les pays en développement n’auront ces sous que s’ils pratiquent « la bonne gouvernance », s’ils investissent dans des programmes de santé et d’éducation, s’ils adoptent des politiques de libre échange. Terry Miller, qui représentait les Etats-Unis aux travaux préparatoires, avait d’ailleurs demandé aux pays intéressés par l’aide extérieure de « s’engager dans la voie du capitalisme », ce que M. Bush a préféré appeler le « libre échange ».

En matière de relations internationales, c’est donc le statu quo. Les pays riches, Etats-Unis notamment, détiennent toujours le pouvoir financier qui leur permet d’imposer leur vision de la « bonne gouvernance » et d’ouvrir par la force les marchés des pays en développement aux multinationales. Ces pays ne disposent par contre d’aucun outil semblable pour pouvoir s’introduire sur les marchés du Nord. Leurs produits agricoles et textiles, par exemple, y seraient compétitifs, mais ils se heurtent aux barrières douanières et aux subventions en place. On estime que cela représente pour les économies du Sud un manque à gagner de plus de 100 milliards de dollars, bien plus à la vérité que l’aide qui leur est accordée. A cette Conférence, bon nombre de pays du Nord ont refusé d’aborder les questions commerciales, estimant que cela faisait partie des attributions de l’Organisation mondiale du commerce. La déclaration finale, dite « Consensus de Monterrey » », prône la libération du commerce des produits agricoles, la réduction des tarifs douaniers et un réexamen de l’Accord sur les aspects du droit de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC/TRIPS).

La présence du président américain à Monterrey a coûté cher aux pays en développement. Pour ne pas embarrasser M. Bush, le texte final a été passablement édulcoré et l’on a supprimé toute référence à un changement possible dans le système mondial : modification de règles du commerce international, trop favorables aux pays riches, mise en place d’une taxation internationale destinée à financer le développement. Cela traduit une fois de plus une dérive inquiétante des négociations mondiales. Le contenu des débats sur des problèmes qui sont parfois une question de vie ou de mort pour certains est filtré jusqu’à l’absurde, tout simplement pour que l’Amérique accepte d’être là. Or, au vu de ce qu’elle accepte de faire par la suite (ou refuse de faire, comme pour le réchauffement climatique), ce n’est souvent vraiment pas la peine que la communauté paie pour cela le prix fort.

Les autres locomotives de la planète n’ont guère brillé par leur sens de la responsabilité ou du leadership. Les quinze membres de l’Union européenne ont tout juste accepté de porter leur aide annuelle à 0,33 pour cent de leur PIB, soit 7 milliards de plus que les 25 milliards actuels. Ils ont cependant promis de tendre vers un objectif de 0,39 pour cent.

Par rapport à l’appel des Américains en faveur du capitalisme, les Européens ont été un peu plus réservés : « Les mécanismes du marché ne peuvent conduire seuls à un développement équitable et durable ». Quant au Japon, qui est le premier pays donateur, il a invoqué ses récentes difficultés économiques pour en rester au niveau actuel : 13,5 milliards de dollars.

Cette conférence semble donc indiquer l’effritement quasi officiel de l’objectif de 0,7 pour cent du PIB pour l’aide au développement qui avait été suggéré par les Nations unies en 1970. A cette époque tout cela devait servir à lutter contre la pauvreté, à promouvoir le développement. Il y avait alors bien moins de programmes en train sur le plan international.

Depuis on a demandé aux pays du Sud d’abandonner les méthodes classiques de développement qui avaient servi dans les pays industrialisés et d’observer désormais les critères du développement durable respectueux de l’environnement, ce qui entraîne des surcoûts. L’Agenda 21, le document principal du Sommet de Rio (1992), évaluait les besoins de financement du développement durable à 600 milliards de dollars supplémentaires par an. Lors des diverses réunions internationales sur l’environnement et le développement, les pays industrialisés ont souvent promis de participer à la dépense. Les résultats se sont fait attendre, malgré les appels répétés des pays du Sud qui voudraient que les contributions aux fonds environnementaux multilatéraux viennent compléter l’aide publique au développement.

L’aide publique au développement est passée de 60,9 milliards de dollars en 1992 à 53,1 milliards en 2000. En 1998, seulement quatre pays, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède dépassaient l’objectif des 0,7 pour cent de leur PIB. En plus de cette langueur, l’aide publique au développement connaît des problèmes de priorités. Ils sont assez gênants pour que les gouvernements des pays en développement réclament avec insistance des systèmes de financement plus équitables et automatiques.

Problème numéro un : l’aide est accordée selon des critères politiques, elle va à des pays qui se conduisent bien, aux yeux des donateurs. C’est ainsi qu’une bonne partie de l’aide américaine est destinée au Moyen-Orient, pour protéger des intérêts pétroliers. Plusieurs pays africains par contre ne bénéficient pratiquement d’aucune aide sous prétexte que leurs leaders sont corrompus, et ce sont les populations qui trinquent. L’aide sert à acheter « la bonne conduite » du pays receveur. Et elle peut disparaître au besoin s’il faut punir le récalcitrant.

Problème numéro deux : l’aide publique au développement c’est rarement de la charité, plutôt de l’intérêt bien compris. Accordée dans la mesure où le receveur met en œuvre telle ou telle réforme, l’aide dite conditionnelle empoisonne depuis longtemps les relations avec les pays en développement. Les plans d’ajustement structurels ont été la pire façon de distribuer l’aide.

L’aide bilatérale ou multilatérale comporte presque toujours des conditions. Depuis quelques années, les donateurs posent leurs exigences en matière de gouvernance, d’appels d’offre, de lutte anticorruption, de discipline macro-économique, d’environnement, d’égalité entre hommes et femmes, de droits de l’homme, de travail des enfants. En exigeant des pays receveurs qu’ils se tournent vers des politiques de libre échange, George Bush limite sérieusement leur liberté de choix dans la recherche de modèles de développement moins polluants que ceux qui ont servi aux pays industrialisés. Si l’ensemble des pays en développement adoptait ces façons de faire, cela plongerait l’humanité dans des conflits sans fin ou nécessiterait un environnement dix fois plus grand que notre planète et tout neuf. C’était là l’esprit du discours prononcé par Hugo Chavez, président du Venezuela qui s’exprimait au nom du groupe des 77. Il a dénoncé un monde tordu où les choses fonctionnent à l’envers, où les modèles de développement du Nord ont souvent entraîné le sous-développement des pays du Sud.

Les maigres résultats de la conférence de Monterrey vont sans doute avoir un effet négatif sur le Sommet du développement durable qui se tiendra à Johannesburg en août-septembre 2002.

Des politiques plaquées

A cause des conditionnalités de l’aide, les pays en développement ont rarement la possibilité de choisir leurs propres stratégies de développement, de s’attaquer à ce qui devrait être des objectifs prioritaires. Citons Ravi Kanbur, ancien directeur du Rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale : « Les décideurs passent plus de temps à essayer de remplir les exigences des donateurs qu’à débattre avec la population de la justesse des politiques de développement proposées ». Le résultat c’est que dans les pays qui reçoivent une assistance on ne se sent pas propriétaire et responsable des projets mis en œuvre.

Intérêts privés

Les investissements privés dans les pays en développement, en particulier l’investissement étranger direct (IED), sont maintenant plus importants que l’aide publique au développement. En 1990, 56 pour cent des flux financiers à long terme vers ces pays provenait de l’aide publique au développement et 44 pour cent de sources privées, la moitié de ces 44 pour cent étant de l’IED. En 1998, pour un niveau d’aide semblable, on avait des IED multipliés par cinq : 209 millions de dollars en 1990, 1 118 milliards en 2000. L’aide publique au développement ne représente plus que 18 pour cent. L’investissement étranger direct constitue de toute évidence un très important apport de fonds, et soulève des problèmes dont les pays du Sud ont voulu débattre mais que la déclaration « consensuelle » de Monterrey n’a pas voulu relayer. L’IED est motivée avant tout par la recherche du profit et va d’abord à d’autres pays industrialisés ou à un certain nombre de pays en développement qui représentent des marchés intéressants : Chine, Brésil, Mexique. Les pays les moins avancés ne reçoivent pratiquement rien : 0,5 pour cent du total pour les 48 derniers, dont une bonne partie se trouve dans l’Afrique subsaharienne.

Dette et réformes institutionnelles

Les pays en développement n’ont pratiquement rien obtenu sur la question de la dette et de la réforme des institutions financières internationales, pour que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international prennent mieux en compte leurs difficultés. Ils avaient proposé qu’on applique à des pays très endettés un code international du dépôt de bilan. Cette suggestion n’a pas été retenue. Ils souhaitaient aussi un renforcement du rôle des Nations unies dans les institutions financières internationales. Il a été question d’envisager la création, dans le cadre des Nations unies, d’un organisme économique mondial chargé de promouvoir le développement économique et social et fournir l’impulsion politique qui permettrait de renforcer et d’harmoniser les systèmes monétaires, financiers et commerciaux internationaux dans le sens du développement. Mais l’Union européenne, les Etats-Unis, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Suisse et l’Australie n’étaient pas favorables à un rôle accru des Nations unies dans les questions monétaires et financières.

Non aux innovations

Le plus décevant dans cette Conférence a été l’absence d’idées innovantes pour financer la lutte contre la pauvreté et mettre en œuvre des politiques de développement durable. Aujourd’hui les promesses d’aide se font rares et les sous arrivent encore plus rarement. Beaucoup de délégations nationales ont fait entendre leur voix, mais cela ne se traduira pas par des projets d’action concrète sur le plan mondial, essentiellement parce que les Etats-Unis ont fait de l’obstruction.

L’Irak proposait la création d’un fonds mondial pour le développement, le Venezuela un fonds humanitaire mondial auquel les pays en développement verseraient 10 pour cent de leur dette extérieure et 10 pour cent du montant de leurs dépenses militaires. L’Union européenne poussait à la roue en faveur d’une taxe sur les transactions monétaires, qu’elle s’apprête d’ailleurs à mettre en œuvre à l’échelle communautaire. Ces diverses suggestions ont complètement disparu du texte final du « Consensus ». D’autres avaient proposé de taxer le commerce des armes, le courrier électronique, la fuite de cerveaux. La Fondation Swaminatham, de l’Inde, suggérait un prélèvement de 1 pour cent sur toutes les exportations de produits agricoles et la vente de semences afin de financer les dispositions prévues par la Convention sur la biodiversité pour apporter plus d’équité dans le système. A Delhi, le premier ministre a parlé d’une imposition sur les flux internationaux de capitaux qui alimenteraient un fonds de lutte contre la pauvreté. On s’en servirait pour liquider la dette extérieure des pays les plus pauvres et pour appliquer des programmes appropriés.

Anil Agarwal, le fondateur de notre Centre pour la science et l’environnement, disait ceci : « Au XXe siècle, dans tous les pays civilisés, il existe un impôt progressif redistributif. Malheureusement, à l’échelle des nations, nous ne sommes pas encore civilisés. Entre pays riches et pays pauvres, il s’agit d’aide et de charité et non pas d’une obligation légale à laquelle on ne peut faillir sans encourir des pénalités ».

L’idée de faire appel à des taxes mondiales pour financer le développement n’est pas nouvelle. En 1972, l’économiste James Tobin avait lancé l’idée d’une taxe sur les transactions monétaires. En 1982, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement proposait de faire appel à des sources de financement automatiques : taxe sur les pêches maritimes, sur l’exploitation des fonds marins, sur les satellites géostationnaires, sur les échanges commerciaux internationaux. Ces systèmes automatiques permettraient d’échapper aux caprices des responsables politiques et de mettre à la disposition des pays en développement des financements libérés des exigences des donateurs.

La dette écologique

A la Conférence de Monterrey, certains ont demandé que l’on fasse aussi appel à « la dette écologique » des pays industrialisés vis-à-vis des pays pauvres. Les premiers envoient dans l’atmosphère beaucoup plus de gaz à effet de serre que les pays en développement. Ils devraient normalement réduire leurs émissions de 60 à 80 pour cent. Chaque jour qui passe leur facture carbone s’accroît. Et ce sont les pauvres des pays du Sud qui cèdent leur ration d’espace écologique aux riches alors qu’ils auront sans doute à souffrir le plus du changement climatique.

On estime que cette dette écologique des pays industrialisés s’élève à 13 trillions par an tandis que les pays pauvres disposeraient d’un crédit situé entre 141 et 612 milliards de dollars du fait de leur faible consommation de carburant fossile. On pourrait se mettre d’accord pour appliquer une taxe mondiale modulée sur ces produits, pour réduire leur usage et générer des financements pour le développement.

Taxe mondiale pour le droit à la survie

Le Centre pour la science et l’environnement a toujours soutenu que les modèles de développement « du haut vers le bas » profitent rarement aux pauvres. La majorité des pauvres du monde vivent dans les campagnes et sont tributaires de leur environnement immédiat pour satisfaire leurs besoins essentiels : logement, nourriture, énergie, eau. La meilleure façon de les aider c’est de faire en sorte qu’ils puissent eux-mêmes réhabiliter ou mettre pleinement en valeur le milieu naturel où ils vivent.

Le CSE a suggéré la mise en œuvre d’un programme pour le droit à la survie destiné spécifiquement à lutter contre la pauvreté rurale et la dégradation de l’environnement. Il serait financé par des contributions nationales obligatoires calculées selon la richesse du pays ou un impôt sur le revenu ou une TVA à l’échelle mondiale. Ce système de taxation ne serait pas un acte de charité mais représenterait une sorte d’acompte versé par les riches au regard du coût écologique de leurs modes de consommation.

Malheureusement, dès qu’on parle de taxer ou d’imposer, même petitement, les lobbies se mettent au travail. Et les nations répugnent à céder à une instance internationale une parcelle de leur droit à prélever l’impôt. C’est ce qui explique en grande partie qu’on n’ait pas avancé dans ce domaine alors que l’opinion publique est généralement favorable à l’idée. Il faudrait trouver un système qui empiète le moins possible sur les prérogatives fiscales des gouvernements nationaux.

Que représente la charité ?

Notre monde doit se doter de moyens plus efficaces, plus équitables et plus transparents pour financer la lutte contre la pauvreté et pour promouvoir le développement durable. Les façons de faire actuelles de l’aide au développement et de l’investissement privé ne sont pas satisfaisantes.

On peut envisager bon nombre de solutions, mais il faudrait que les gouvernements des pays en développement soient plus surs de leur fait et mieux préparés pour faire avancer leurs demandes dans les forums internationaux, en ralliant à leur cause des responsables de pays industrialisés attentifs à leurs problèmes.

Les leaders des pays du Nord doivent reconnaître que la lutte contre la pauvreté exige plus qu’un peu de charité et de bonnes phrases. Qu’ils arrêtent de chercher à tirer les ficelles dans les pays en développement par leurs programmes d’aide ou les investissements privés, qu’ils acceptent d’abord des règles justes et équitables pour le commerce mondial. Car les barrières douanières auxquelles se heurtent les marchandises qui sont importantes pour les pays en développement, le textile par exemple, provoquent un manque à gagner plus important que l’aide ou la charité qu’on leur accorde. Les pays industrialisés reprennent de la main gauche ce que leur droite a donné.

document de référence rédigé le : 1er juillet 2002

date de mise en ligne : 7 octobre 2004

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