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Notre Terre

La facture de la Révolution Verte

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> in Notre Terre n° 5, février 2001

Nous sommes dans les années soixante. L’Inde souffre d’une grave sécheresse. Il ne reste peut-être que sept jours de vivres. Pour nourrir une population de plus en plus nombreuse, le pays doit importer massivement. C’est alors que les spécialistes pensent à faire un mariage entre la science et l’agriculture. Ce sera la Révolution Verte, et cela a marché. L’Inde importait 10 millions de tonnes de nourriture en 1967, 500 000 tonnes seulement en 1977. Aujourd’hui, si elle fait encore venir un tout petit peu de blé, il ne lui manque pas de riz.
Et pourtant beaucoup sont en train de perdre leurs illusions. Cette Révolution Verte a été essentiellement une révolution céréalière, avec l’intronisation de variétés hybrides, exigeantes en eau et en engrais et qui ont chassé les variétés traditionnelles. S’adressant au Congrès des Scientifiques indiens en janvier 1968, à Varanasi (Bénarès), M S Swaminathan, le père de la Révolution Verte, avait eu ces paroles prémonitoires : « Lorsqu’on pratique une culture intensive sans veiller à maintenir la fertilité et la structure des sols, on court le risque de faire apparaître des déserts ». Au cours des dix premières années de la Révolution Verte la production de riz augmentait de 8,97 pour cent en moyenne chaque année. Depuis dix ans on en est à 1 pour cent, parfois en dessous.

Le Punjab : fin de la Révolution ?

Le Punjab et l’Haryana sont deux Etats voisins situés au nord-est de Delhi, la capitale fédérale. A eux deux ils pèsent 10,5 millions de tonnes de riz (production nationale : 82,5 millions) et 20,3 millions de tonnes de blé (production nationale : 66,3 millions). Le Punjab est sans doute l’un des Etats les plus aisés de l’Union indienne. En 1980, le revenu moyen y était de 2 674 roupies. En 1998 il a atteint 19 770 Rs. Mais les coûts de production s’envolent : de 1 370 Rs pour une tonne de blé en 1985 on est passé à 3 660 Rs en 1998. Et l’augmentation de la consommation d’engrais n’est plus suivie d’une amélioration des rendements. A cela s’ajoutent les coûts écologiques et sociaux, dont il n’est guère tenu compte.

L’eau

Il est évident qu’il a fallu beaucoup plus d’eau pour permettre l’extension des cultures de riz et de blé. On a d’abord développé les réseaux d’irrigation, et maintenant on multiplie les forages et on force sur le pompage. D’autant plus que, dans le but de contrecarrer son rival politique, le « chief minister » du Punjab annonçait, juste avant les élections de 1996-1997, que les agriculteurs ne paieraient pas l’électricité pour cela. Dans 77 pour cent de ce territoire la nappe phréatique est surexploitée, surtout dans la partie centrale qui produit 67 pour cent du riz et 56 pour cent du blé punjabais. Dans de nombreux district elle a baissé de plus de quatre mètres. « Les pluies qui tombent sur la chaîne des Shivalik, dans les piémonts de l’Himalaya, ne rechargent plus les aquifères car le couvert forestier a complètement disparu. Plus de la moitié de cette eau s’écoule en pure perte. S’il y avait une bonne végétation dans cette région, 90 pour cent de l’eau de pluie pourrait être récupérée ». (S P Mittal, Centre de recherche pour la conservation des sols et de l’eau, Chandigarh)

Dans le nord et le sud du Punjab, par contre, ce sont les terres couvertes d’eau stagnante qui posent problème : percolation, fuites sur les réseaux d’irrigation, mauvais drainages. Le sel remonte à la surface. C’est pour absorber une partie de ces eaux stagnantes qu’on a encouragé la culture du riz dans la région du centre. Puis sont venues les variétés nouvelles qui exigent beaucoup d’eau. Alors il a fallu pomper dans la nappe phréatique. Voilà l’ironie de la situation !

Les sols

Des sols fertiles où tout semblait pousser sont en train de devenir stériles. « C’est la conséquence directe des cultures intensives dans lesquelles on s’est lancés afin de pouvoir nourrir une population sans cesse croissante », constate un haut responsable des services techniques de l’agriculture du Punjab qui résume les problèmes : dégradation des sols par érosion, ou salinité ou alcalinité lorsque la nappe phréatique remonte, ou au contraire épuisement des réserves souterraines, et là où la culture du riz est particulièrement intensive concentration excessive de sélénium à la surface, ce qui donne une mauvaise odeur au produit et le rend invendable. La terre manque de matière organique, de micronutriments, de bactéries, de vers de terre. Au bout de cinq ans de Révolution Verte on constatait déjà une carence en zinc. Puis avec l’adoption de la rotation riz-blé sur de vastes espaces nouvellement convertis au riz, il y a eu aussi une carence en fer et en manganèse. Suivant les variations des prix des engrais, les agriculteurs ont aussi souvent modifié de façon inconsidérée les dosages de nitrate-phosphate-potasse. « Et le sol perd ses nutriments parce qu’on ne lui donne pas de fumier, parce que les agriculteurs pratiquent de mauvaises rotations, parce que l’eau est de mauvaise qualité ». ( K Nayyar, Institut agronomique du Punjab).

Problèmes sociaux

Problèmes écologiques et problèmes sociaux vont de pair. Au pays de la Révolution Verte, mécontentement et désespoir constituent l’envers du décor. Il y a une dizaine d’années, une étude sur le crédit et l’endettement au Punjab révélait que 90 pour cent des cultivateurs faisaient des prêts à court terme pour pouvoir planter et récolter. Le montant emprunté était en moyenne de 950 Rs par acre (0,405 ha). Après avoir vendu leur production, 35 pour cent d’entre eux n’arrivaient pas à rembourser. Faut-il s’étonner que, dans les dix ans qui se sont écoulés depuis cette étude, le taux de suicides pour 10 000 habitants est passé de 0,57 à 2,06 pour cent ?

Comment s’en sortir

Le Punjab ne représente que 1 pour cent de la superficie de l’Union indienne. Il ne peut pas continuer à produire des céréales pour tout le monde. Il y a quelques mois, une sérieuse sécheresse sévissait en Inde, qui disposait cependant d’une réserve de 26 millions de tonnes de grains, deux fois plus qu’il n’en fallait pour repousser une famine. Mais c’est peut-être la dernière fois que le pays s’en sort à si bon compte car les grandes régions agricoles comme le Punjab sont de toute évidence confrontées à de très sérieux problèmes d’environnement.

Les spécialistes affirment haut et fort qu’on peut fort bien éviter la catastrophe qui menace. La croissance démographique et le ralentissement de la production ne sont pas des problèmes insurmontables si l’on réussit à étendre les cultures en dehors du Punjab et de l’Haryana. Mais il n’est pas question de refaire la Révolution Verte à l’identique. Il faut plutôt améliorer les réseaux de distribution, les routes, développer les cultures dans les plaines gangétiques, encourager l’utilisation de variétés bien adaptées aux terroirs, améliorer l’irrigation, en finir avec les monocultures. Les entreprises privées peuvent sans doute intervenir dans le commerce des produits du sol, mais l’Etat a le devoir de veiller à ce que les choses se passent bien.

La Green Revolution doit se faire evergreen (vert persistant) en tenant compte des grands principes de l’écologie, de l’économie, de la parité hommes femmes, de l’équité et du travail pour tous. Le problème c’est qu’on ne trouve pas les gens qu’il faut à la place qu’il faut et qu’à l’heure actuelle il n’existe pas dans ce pays une volonté politique capable de faire évoluer les choses.

Politiques agricoles

Il n’est pas judicieux d’avoir une politique identique pour l’ensemble du pays. Il faut des politiques diversifiées bien adaptées aux besoins et aux possibilités des terroirs suivant leur état de développement. Et le prix de l’engrais, de l’eau, de l’énergie ne doit pas être déterminé par des critères socio-économiques, techniques ou politiques à court terme. Le riz et le blé bénéficient de prix minimum garantis. C’est de l’opium : les gens ne s’intéressent pas vraiment à d’autres cultures. Pour réparer les dégâts causés tout au long des trente dernières années, les Indiens devraient faire deux choses : réduire les superficies consacrées au riz, tout en encourageant la production de légumineuses par le biais de subventions publiques, et jouer sur le prix de l’électricité, du carburant et de l’eau pour détourner les agriculteurs de la sacro-sainte rotation riz-blé qui exige tant d’eau.

Recherche agronomique

L’Inde a dix ans de retard dans ce domaine. Et on ne tient pas assez compte des vrais problèmes sur le terrain. Au lieu d’être obnubilés par la production de certaines denrées, nous devrions nous tourner vers des pratiques culturales plus durables, soutenues par les nouvelles technologies : biotechnologies, météorologie, micro-électronique, développement de nouvelles variétés productives, résistantes et bien adaptées aux divers terroirs.

Et il est surtout indispensable de mobiliser les populations concernées, de former, d’instruire, de réglementer aussi afin de réparer la casse. « Il faut convaincre les cultivateurs qu’ils ont tout intérêt à préserver la qualité des sols, avec fumure animale, engrais verts, engrais bio, compost, engrais chimiques à doses minimales mais efficaces... Dans ce domaine, M. Swaminathan, le père de notre Révolution Verte, souligne cependant un facteur limitatif : « la majorité des agriculteurs indiens n’ont pas plus d’un hectare de terre. Beaucoup ne possèdent pas de bétail. Le fumier ne suffira certainement pas à engraisser nos sols amaigris ».

date de mise en ligne : 6 octobre 2004

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