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NADKARNI Manoj, NARAIN Sunita

Chers cabinets

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> Notre Terre n° 9, juillet 2002

Article paru dans Notre Terre

Il y a quelques années, mon collègue Anil Agarwal et moi-même nous assistions à un symposium sur l’eau à Stockholm et nous étions invités à participer à un dîner offert par le roi de Suède. Laissant de côté ce beau décors, guidés pas notre ami Uno Winblad qui partageait avec Anil les mêmes préoccupations, nous étions en fait au rayon des cabinets dans des grands magasins excentrés de la ville : cabinets économiseurs d’eau, cabinets électriques, toilettes sèches. Pour ma part je n’étais pas à cet instant convaincue de l’intérêt de la visite. Anil, qui n’aimait pas du tout faire les magasins, était pourtant ravi.

J’ai fini par comprendre que la chasse d’eau et le tout-à-l’égoût, symboles de l’hygiène et de la propreté, constituent en fait un problème plus qu’une véritable solution. Nous construisons d’énormes barrages pour amener l’eau à la ville. A chaque visite aux toilettes c’est 10 litres qui partent dans un réseau de canalisations qui aura coûté très cher à construire. Et pourtant, tout au bout, cela va encore ajouter à la pollution des cours d’eau, dont la plupart sont devenus des égouts à ciel ouvert à force de recevoir les effluents urbains. La Yamuna est le fleuve qui traverse Delhi, et c’est aussi son principal collecteur. Il entre dans la ville à Wazirabad où se trouvent les installations de pompage. En aval, 18 conduites déversent quotidiennement environ 1,8 milliard de litres d’eaux usées dans son lit. La ville prévoit de tripler les capacités des stations d’épuration. Si ce sera fait, elles manqueront paradoxalement de matière première car les conduites sont envasées, plus ou moins bouchées. Les autorités admettent que les installations actuelles sont parfois sous-utilisées ou parfois débordent lorsque la charge des mauvaises conduites est déviée sur des circuits en meilleur état. En zone urbaine l’eau potable ne constitue à vrai dire qu’une petite part de la consommation totale d’eau : c’est dans l’assainissement qu’il en passe le plus. Et la ponction énorme de nos villes sur la ressource génère de sérieuses tensions politiques entre milieux urbains et zones rurales.

Le vrai prix

Nos gouvernements continuent à subventionner les bénéficiaires du tout-à-l’égout au nom des pauvres, qui ne peuvent s’offrir un raccordement au réseau. Il serait plus logique de pratiquer la vérité des prix et d’appliquer une tarification différenciée. Pour les gens aisés la facture tiendrait compte du coût de l’investissement et des frais d’exploitation de toute cette infrastructure onéreuse. Les pauvres paieraient seulement le prix du moyen d’enlèvement des rejets à leur disposition, qui restera relativement économique puisqu’ils n’ont généralement pas de branchement. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. La teinture sociale du pays fait que nos leaders politiques se sentent obligés de maintenir en matière d’assainissement des tarifs abordables pour une bonne part de la population urbaine. Les entreprises privées investissent donc dans l’adduction d’eau et laissent au service public le soin de déblayer les déchets, ce qui est bien moins rentable.

Faire autrement

Pour le traitement des déjections humaines, il faut s’orienter vers des systèmes moins coûteux que les réseaux d’égouts classiques. Ce type d’aménagement urbain lourd peut bien fonctionner dans les pays riches, pas dans les pays pauvres. Nous avons des scientifiques tournés vers l’espace, et les cabinets ne sont pas dans leur champ de vision. Dans notre pays, on ne s’intéresse pas à des solutions plus écologiques. Le changement ne viendra sans doute pas de nos ingénieurs, prisonniers de leurs mentalités et de leurs intérêts bien compris : il faudra apprendre de ce qui se fait à l’étranger. Mais nous devons aussi veiller à ce que les nouveaux systèmes tiennent compte des contraintes culturelles locales, sinon on risque d’aller à l’échec.

Le plus important c’est que ces solutions dites alternatives soient acceptées par les riches et pas seulement les pauvres. Si l’assainissement écologique passe pour une solution bon marché destinée aux plus démunis, ça ne va pas durer. Les pauvres passeront à autre chose dès lors que leur situation s’améliore. Pour l’heure, ne perdons pas de vue que c’est la chasse d’eau des gens aisés qui cause le plus de problèmes dans notre environnement.

Sunita Narain


Dans les classes moyennes et supérieures, les cabinets classiques reliés au tout-à-l’égout (22% des cas) sont un équipement qui va de soi : on tire la chasse d’eau, c’est parti et on n’en parle plus. Pourtant les choses ne sont pas aussi simples. Tout d’abord, bien peu de villes sont équipées de stations d’épuration. D’après la Commission centrale de lutte contre la pollution, moins de 3 pour cent des eaux usées sont traitées. Le reste passe souvent à l’état brut dans un cours d’eau. Et la facture est énorme en termes d’environnement et de santé publique : nos rivières meurent et nos enfants aussi.

Dans les villes indiennes, une bonne partie de la population vit dans des bidonvilles et des zones périurbaines, qui souvent n’ont pas d’existence administrative officielle et n’entrent donc pas dans les plans de développement des réseaux d’assainissement. Près de la moitié des 12 millions d’habitants de Mumbai (Bombay) vit sur 6 pour cent du territoire de la mégapole dans des bidonvilles ou sont sans domicile fixe. Lorsque sont lancés, parfois à l’instigation d’Ong, des constructions de sanitaires, on pense d’abord « chasse d’eau et tuyauterie ». C’est une solution inadaptée. Dans ces quartiers, un cabinet peut servir à 500 personnes, et on ne s’occupe guère de l’entretien. A Delhi ce sont les services municipaux qui ont la charge des projets d’assainissement économique, notamment des toilettes publiques, le plus souvent en mauvais état.

En 1993, avait été adopté une loi pour lutter contre le système qui consiste à confier le soin de s’occuper des latrines traditionnelles à des vidangeurs opérant à mains nues. Cela aurait pu être l’occasion de penser à des technologies appropriées bien adaptées aux conditions locales. Mais en matière de progrès les autorités en sont restées à la chasse d’eau, et la transformation des installations se fait lentement et il faudra des budgets bien plus importants pour les nouvelles constructions et pour leur entretien, sans oublier les stations d’épuration.

On parle souvent de pollution industrielle des cours d’eau alors qu’en Inde la principale menace vient des déjections humaines : 80 pour cent du problème selon le Commissariat au plan. Le Ministère central de l’environnement a fixé comme objectif la construction de 1 591 stations d’épuration dans des localités de plus de 20 000 habitants, en collaboration avec le Ministère central du développement urbain et les Etats de l’Union indienne. Il reste à savoir d’où viendra l’argent.

Parce qu’ils ont vieilli et qu’ils sont mal entretenus, les égouts de Delhi ont perdu 80 pour cent de leur capacité. Donc 20 pour cent seulement des effluents ménagers est épuré, et tout le reste passe directement dans la Yamuna, le fleuve qui traverse la ville. Le coût réel du traitement de l’eau, uniquement pour la rendre propre, n’est d’ailleurs pas pris en compte. A Delhi il faudrait pour cela facturer l’eau 4,61 roupies les 1 000 litres au lieu de 1,99 roupies. Le service d’eau ne récupère que 43 pour cent des coûts d’exploitation. A Kolkota on tombe même à 14 pour cent. Et cela ne tient pas compte évidemment du retraitement des eaux usées avant qu’elles se déversent dans les cours d’eau.

Lorsqu’on entreprend d’installer dans les zones périurbaines des équipements sanitaires économiques, on est confronté à une autre difficulté importante, de la part des usagers. Car ils exigent généralement une plus grande implication que les techniques conventionnelles pour fonctionner convenablement. Les ingénieurs, qui jouent souvent un rôle important dans la formulation des programmes d’assainissement, connaissent parfois mal les contraintes sociologiques : comment mobiliser les populations, impliquer les futurs usagers. Peut-être ne s’intéressent-ils guère à ces aspects, d’autant plus que cela prendrait beaucoup de temps de s’en occuper vraiment.

Le Commissariat au plan parle de « cercle vicieux ». Les programmes d’assainissement urbain classiques ne sont pas économiquement viables. Ils ne couvrent pas l’ensemble de la population, ils fonctionnent mal faute de financements adéquats et l’entretien est calamiteux. Il faudrait reformuler les politiques dans une esprit plus ouvert en tenant compte des caractéristiques sociologiques et géographiques de la région. Respect de l’environnement et viabilité économique doivent aller de pair. Mais qui va réussir à accrocher la clochette à la queue du chat ?

Il est temps de revenir au problème de base : se débarrasser proprement des matières fécales. Il faut regarder de plus près quel usage on fait des cabinets et des égouts. L’assemblage classique, chasse d’eau et tuyauterie, ne fait que transporter le problème ailleurs. Or on peut dissocier le cabinet et la tuyauterie : plus que la nécessité c’est l’habitude acquise qui les tient ensemble, alors qu’il existe deux façons bien distinctes de procéder : le système hors site où les selles quittent la maison et voyagent, le système sur site où leur traitement a lieu dans la maison ou bien tout à côté.

Premièrement, Il faut considérer le cabinet comme un instrument de collecte de nos déchets naturels plutôt que comme un moyen de s’en débarrasser. Mais on est sur ce point confronté aux mentalités : une société « civilisée » se doit de tirer la chasse d’eau, l’utilisation des matières fécales c’est bon dans les pays en développement. Deuxièmement, l’eau est une ressource précieuse qu’on ne devrait pas gaspiller inconsidérément pour faire circuler le pipi et le caca dans les tuyaux. Troisièmement, il faut traiter le problème le plus près possible de la source, sinon on est confronté à des systèmes d’assainissement lourds et centralisés bien difficiles à gérer tant du point de vue financier qu’écologique.

Comment faire autrement

Diversifions les tactiques. Il y a, au Brésil notamment, un système en copropriété qui coûte de 50 à 80 pour cent moins cher que les installations classiques. Les habitations sont branchées sur des conduites de calibre réduit qui nécessitent moins d’eau et à des pressions moins élevées avant de paser dans les collecteurs principaux de la ville. Il y la solution décentralisée, avec des installations qui desservent seulement un quartier, un pâté de maisons. Il y a le système qui procède par aspiration des effluents domestiques. Il est efficace dans un rayon de 4 km, mais ça consomme de l’énergie et c’est un peu cher. On trouve maintenant pour les maisons des types de cabinets prévus à l’origine pour les avions et les bateaux. Et il y a l’écosan (ecological sanitation), autrement dit les toilettes sèches qui fonctionnnent donc en séparant à la source le liquide et le solide, le tout faisant retour à la nature au bout d’un certain temps sous forme d’engrais liquide et de terreau.

Que les fonds viennent d’organismes donateurs ou de subventions publiques, il y a beaucoup d’argent à gagner dans l’assainissement. Et nos gouvernants vont continuer à installer des chasses d’eau et rêver d’un tout-à-l’égout à la hauteur de la situation. On peut pourtant se passer d’importer des technologies coûteuses. L’écosan, qui s’inspire de la relation traditionnelle de l’homme et de la nature, (rendons-lui ce qui lui revient) montre bien qu’il y a une autre façon de penser et de faire.

Manoj Nadkarni

document de référence rédigé le : 1er juillet 2002

date de mise en ligne : 13 avril 2005

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