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JOBERT Pierre , LE HUEROU Anne

Elections russes 2004 : circulez, y’a pas de débat...

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> Peuples en marche, n°193, mars/avril 2004

Aucun véritable débat, pas de liberté de la presse. Dans ces conditions, la Tchétchénie a été la grande absente de la campagne présidentielle russe. Une absence qui, paradoxalement, souligne l’enjeu que constitue la situation en Tchétchénie. Entretien avec Anne Le Huérou [1].

- Peuples en marche - Quelle place a occupé la Tchétchénie dans la campagne pour les élections présidentielles russes ?

Anne Le Huérou - Je crois qu’il est d’abord essentiel à souligner que les Russes ont eu affaire à une non-campagne. L’issue du scrutin ne faisant pas de doute et Vladimir Poutine n’ayant pas daigné faire campagne, les Russes ont été confrontés à une campagne sans aucun débat. Que le gouvernement ait été limogé et remplacé à quelques jours d’un scrutin où le président sortant est donné largement vainqueur témoigne d’une pratique politique inédite mais révélatrice du message que Vladimir Poutine veut faire passer : il a les cartes en main et c’est lui qui mène le jeu. De l’imposition des règles du jeu par le pouvoir en place et du peu de cas qu’il fait des procédures démocratiques...
Il faut également rappeler que, lors de la précédente campagne électorale [2] - celle des élections à la Douma, la Chambre basse du parlement russe - les électeurs avaient déjà vécu une “non-campagne”. Iabloko, le parti libéral russe, a d’ailleurs préféré appeler au boycott de l’élection du 14 mars, qu’il qualifie de véritable "farce politique".
Pas étonnant donc que, dans cette non-campagne, la Tchétchénie soit un “non-sujet”. Personne n’en parle, ou presque. Irina Khakamada, candidate indépendante, est sans doute la seule à porter la critique en ce qui concerne la politique russe en Tchétchénie. Encore le fait-elle de manière indirecte : elle l’évoque davantage pour critiquer la dérive autoritaire du pouvoir - notamment en faisant référence à l’attentat au Théâtre Nord-Ost de Moscou (en octobre 2002, un commando tchétchène avait retenu plus de 800 personnes en otage, 130 personnes y avaient trouvé la mort, succombant aux gaz utilisés par les forces de l’ordre, NDLR) - que pour condamner sur le fond la politique tchétchène de Poutine.
La gestion des attentats survenus il y a quelques semaines dans le métro de Moscou est à cet égard révélatrice : des commandos tchétchènes ont d’abord été mis en cause, mais le pouvoir a ensuite tenté de mettre cette thèse entre parenthèses. Comme si imputer ces attentats aux Tchétchènes risquait, cette fois, d’être contre-productif pour le pouvoir. On a parfois l’impression que la Tchétchénie est évoquée et utilisée en fonction des circonstances, au gré des opportunités... Mais comment ne pas voir que le silence sur la Tchétchénie dans la campagne est “assourdissant” et révélateur d’évolutions inquiétantes en Russie en termes de possiblité d’un débat démocratique et d’existence d’une société civile.

- Pem - Quelle a été le rôle des médias russes ?

A.L.-H. - Il a été très différent de la première guerre : dans un paysage médiatique pluraliste, de nombreuses voix s’élevaient alors contre la guerre. Aujourd’hui, tous les grands médias audiovisuels sont sous contrôle du pouvoir. Dans les différentes chaînes de télévision, les capitaux publics sont majoritaires. Par ailleurs, le traitement de l’information a changé : jusqu’à il y a un an ou deux, les médias traitaient de la Tchétchénie au moyen d’une propagande rappelant sans cesse les succès de l’armée dans la lutte contre les “bandits” ou les “terroristes”, recouraient fréquemment aux montages. Le pouvoir avait alors besoin de montrer sa force à l’opinion. Aujourd’hui, il n’a même plus besoin de communiquer sur la Tchétchénie...
Des médias moins inféodés au pouvoir ont beaucoup de mal à travailler. Le rédacteur en chef de la radio Echos de Moscou a fait état des pressions dont sa station est victime.
Autre exemple révélateur : le grand institut de sondages russe VTSIOM disposait, il y a quelques mois, d’enquêtes d’opinion montrant qu’une majorité de Russes était favorable à l’ouverture de négociations pour sortir de l’impasse Tchétchène. Peut après, les autorités prenaient le contrôle du VTSIOM, obligeant l’équipe en place à démissionner pour recréer un nouvel institut. Dans ces conditions, ce sont sans doute les différents sites internet spécialisés qui offrent l’information la plus riche. Il est hélas difficile de savoir qui les animent. Reste que, globalement, depuis plusieurs mois, l’atonie est terrible en matière d’informations sur la Tchétchénie. Il faut aussi redire que contrairement au premier conflit, cette guerre se déroule à huis-clos, inacessible à un travail normal des journalistes comme des associations humanitaires.

- Pem - La société civile russe opposée à la guerre ne parvient donc pas à se faire entendre ?

A.L.-H. - Il faut bien constater qu’elle est très minoritaire, l’opinion dans son ensemble soutenant Poutine et son action. Mémorial (lire p.16) fait un excellent travail de recueil de témoignages, mais est plus connu à l’étranger qu’en Russie. Quant aux Mères de soldats (à l’exception de l’organisation de St-Petersbourg, plus radicale et fondamentalement opposée à la guerre), si elle a été très en pointe lors de la première guerre de Tchétchénie, elle l’est beaucoup moins aujourd’hui. Il est parfois difficile de comprendre son positionnement. De plus, le secteur associatif est de plus en plus en butte aux tracasseries, encore plus lorsqu’il s’agit d’organisations de défense des droits de l’homme.

- Pem - Pourtant, la répression se poursuit en Tchétchénie ? Quelles sont les attentes de la population tchétchène vis-à-vis de ces élections ?

A.L.-H. - Il faut avoir conscience que cette population est complètement écrasée, et n’attend plus grand chose de personne. Sur le terrain, la “normalisation” conçue par Moscou continue sa marche inexorable qui s’est accélérée ces derniers mois : poursuite de la “tchétchénisation” des structures administratives et surtout répressives qui fait planer le risque d’une guerre civile dont les Russes se laveraient les mains, militarisation du pays (80 à 100 000 hommes sont stationnés en Tchétchénie), retour forcé des réfugiés après la fermeture de presque tous les camps en Ingouchie, alors que la sécurité de la population ne peut être assurée et que la reconstruction est inexistante. Et la répression se poursuit, prenant de plus en plus la forme de représailles ciblées, parfois provoquées par la vengeance ou la délation.
Dernièrement, un des commandants tchétchènes les plus combatifs a été éliminé. Peu de temps après, la famille du ministre tchétchène de la Défense de Maskhadov (le président élu sous contrôle de l’OSCE) a été enlevée par des commandos tchétchènes pro-russes. Pour que la menace de mise à mort de ces otages soit levée, le ministre a dû se rendre... Ce qui a bien entendu constitué une victoire politique pour le président russe quelques jours avant les élections. Après le 14 mars, l’urgence sera, encore et toujours, de soutenir la société tchétchène, traumatisée et déstructurée par 10 années de guerre.

[1] Anne Le Huérou est sociologue spécialiste de la Russie. Elle est chargée de mission auprès de la Fédération internationale des droits de l’homme

[2] La formation de Poutine, Russie unie, a largement remporté les élections législatives du 7 décembre dernier remportant 372 sièges à la Douma, soit plus de 2/3 des sièges

document de référence rédigé le : 1er avril 2004

date de mise en ligne : 6 septembre 2004

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