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MISHRA Sourav

Ruineuses semences

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> Notre Terre n°17, janvier 2006

Les agriculteurs indiens sont endettés jusqu’au cou. Selon une enquête (mai 2005) de l’Agence nationale de sondage (NSSO) du Ministère central de la statistique, sur un total de 89,35 millions de ménages d’agriculteurs que compte le pays, 43,42 millions (soit 48,6 %) souffrent du surendettement. Cette situation est paradoxale car, depuis le processus de libéralisation économique entamé en 1991, le pays a connu un taux de croissance de plus de 6 %.

Aux yeux des propagateurs du libéralisme, le problème de la dette dans les campagnes n’a guère d’importance car la part de l’agriculture dans le Produit intérieur brut n’a cessé de diminuer au cours des années récentes. Aujourd’hui elle n’est plus que de 24 % . Les soubresauts de ce secteur ont donc relativement peu de répercussions sur l’économie nationale. Ceci dit, on ne peut quand même pas oublier que plus de 60 % de la population vit de l’agriculture.

Les auteurs de ce rapport établissent un lien entre le piège de la dette et les suicides d’agriculteurs. C’est dans l’Andhra Pradesh qu’on trouve le pourcentage le plus élevé d’agriculteurs endettés : 89 %, soit 4,9 millions de ménages. En décembre 2003, lorsque l’enquête en question s’achevait, on y avait recensé plus de 3 000 suicides d’agriculteurs. Les documents de police suggèrent un chiffre trois fois plus élevé. Après l’Andhra Pradesh, on trouve le Tamil Nadu (74,5 % de foyers endettés), le Punjab (65,4 %), le Maharashtra (54,8 %).

On peut voir les choses différemment. Pour M. Sriram, de l’Institut de gestion d’Ahmedabad, « l’endettement élevé dans certains Etats peut être lié à l’importance du capital d’exploitation nécessaire. La dette n’est pas forcément un élément négatif. L’agriculture relativement prospère du Penjab mobilise de nombreux intrants, des capitaux importants ». Le problème c’est que beaucoup d’agriculteurs font encore appel aux prêteurs professionnels. Et c’est là que l’endettement peut devenir dangereux. Le taux d’intérêt exigé peut alors atteindre 60 % l’an. Toujours d’après l’enquête de l’Agence nationale de sondage, en matière de prêts aux agriculteurs, les banques représentent 36 % des cas, les prêteurs 26 %, les coopératives seulement 19,6 %, bien qu’elles soient présentes sur le terrain depuis une centaine d’années. Il semble que l’Alliance progressiste unie (UPA) actuellement au pouvoir au gouvernement central ait l’intention de relancer le crédit coopératif. Il est question notamment de supprimer le contrôle étatique et de favoriser les fusions pour ne garder que des organismes viables, d’imposer un ratio de couverture des risques de 7 % au moins.

Quand l’agriculture traverse une crise, les gens ne peuvent guère traiter avec les banques à cause de leur insolvabilité : leur seul recours est le prêteur d’argent. Quand les mauvaises récoltes se suivent, rembourser devient impossible, et la désespérance de certains les conduit parfois au suicide. En Andhra Pradesh, sur 100 ménages endettés, 57 le sont envers un prêteur. Rajiv Kumar, économiste en chef à la Confédération des industries indiennes, souligne un autre aspect : « Les mécanismes de crédit proposés aux agriculteurs sont insatisfaisants. Lorsqu’on pratique des cultures à risque, il est indispensable d’accompagner le crédit d’un système d’assurance. »

Trop pauvrespour avoir des dettes

L’enquête déjà citée signale un autre aspect intéressant. Dans les Etats les plus pauvres, le pourcentage d’agriculteurs endettés est souvent moins élevé : 33 % au Bihar, 40 % en Uttar Pradesh, 48 % en Orissa et 2,9 % au Jharkand. Dans ces régions, une majorité de paysans pratiquent une agriculture de subsistance et n’ont donc guère recours au crédit : ils passent ainsi pour moins endettés. Et c’est sans doute la même chose pour les gens des castes répertoriées (Intouchables) et des tribus répertoriées (aborigènes) par rapport à ceux des autres castes arriérées (OBC). Les statistiques ne donnent aucune indication sur l’étendue de leur pauvreté, qui est particulièrement grande. Ces paysans restent invisibles parce qu’ils n’entrent pas dans les circuits du crédit. L’importance de la dette est aussi directement proportionnelle à la superficie de l’exploitation  : en moyenne 76 000 roupies (1 420 euros) pour celles qui font plus de 10 hectares, 6 000 roupies (114 euros) en dessous d’un are.

Pourquoi la dette ?

« Le taux élevé de l’endettement est lié à la réduction de l’investissement dans le secteur agricole depuis la mise en oeuvre des réformes économiques » (Kumar). Au cours des années 1985-1990, les sommes consacrées au développement rural représentaient 14,5 % du PIB, et seulement 8 % à partir des années 1990 pour tenir compte des politiques déflationnistes préconisées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Depuis 1998, les budgets consacrés au développement rural ont encore été réduits (6 % du PIB en moyenne).

Dans les Etats qui ont développé leur secteur agricole, les exploitants étaient habitués à bénéficier de l’électricité gratuite, d’intrants pas chers, de semences à haut rendement. A mesure que baissait l’investissement dans le secteur agricole, les coûts de production s’élevaient, les marges bénéficiaires diminuaient en conséquence. En Andhra Pradesh, par exemple, le prix de l’électricité a augmenté cinq fois entre 1988 et 2003. Depuis les années 1990, les coûts de production ont enregistré une hausse de 300 %. Les commerces privés ont proposé des « graines miracles » (= OGM) et toutes sortes d’intrants qui ont poussé les paysans dans des dépenses nouvelles. Sur 100 foyers d’agriculteurs endettés, 56,9 % font des cultures. Ceux qui font de l’élevage (bétail et volaille) s’en sortent beaucoup mieux (3,2 % des exploitations endettées). Et c’est à peu près la même chose (4,1 %) pour les horticulteurs et planteurs.

Devinder Sharma, spécialiste du commerce des denrées alimentaires, tire de ces analyses des conclusions peu encourageantes. Moins soutenus par les nouvelles politiques locales, les agriculteurs des pays en développement vont tenter de se tourner vers l’horticulture et les plantations, où il y a plus à gagner apparemment. Dans les pays développés, soutenus par des aides diverses, les agriculteurs continueront à produire des céréales. Beaucoup de pays en développement vont devoir se fournir dans les pays développés et vivre dans l’attente du cargo chargé de blé. On peut dire que la paysannerie indienne est l’un des grands perdants des nouvelles politiques de libéralisation de l’économie. Et le pire est encore à venir.

document de référence rédigé le : 1er janvier 2006

date de mise en ligne : 12 avril 2006

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