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CEDIDELP, RIOUFOL Véronique

La justiciabilité des obligations positives en matière de DESCE : l’affaire Grootboom (Afrique du Sud, 2001)

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> Cedidelp, avril 2005

Brootboom, c’est le nom du terrain de sport où se sont installés 900 squatters évincés d’une propriété privée où ils avaient constitué une zone d’habitat informel dans la périphérie de Cape Town. « Soumis aux rigueurs de l’hiver, rappelle l’article, et ne disposant ni d’abri, ni d’accès à l’eau et à l’électricité, ni d’équipements sanitaires minimum, ils ont intenté une action en justice contre les gouvernements provincial et national, et ils ont gagné.

L’affaire Grootboom est devenue depuis un cas de référence dans la lutte pour la justiciabilité des DESCE en Afrique du sud et dans le monde.

Titre complet :

Government of the Republic of South Africa and Others v Grootboom and others 2001 (1) SA 46 (CC)

Instance :

Cour Constitutionnelle d’Afrique du Sud, jugement du 4 octobre 2000

Types de droits :

Droit au logement, Droit à un niveau de vie adéquat, Droits des jeunes et des enfants, Droit à la vie, Droit à l’eau

Nature du cas :

Justiciabilité des DESC ; obligations positives ; obligations fondamentales minimum ; réalisation progressive ; étendue de la déférence du juge à l’égard du choix d’allocation des ressources par le gouvernement ; protection constitutionnelle des DESC.

Résumé de l’affaire :

Une communauté de 900 squatters, évincés d’une propriété privée où ils avaient constitué une zone d’habitat informel dans la périphérie de Cape Town, se sont alors installés sur un terrain de sports voisin. Soumis aux rigueurs de l’hiver et ne disposant ni d’abri, ni d’accès à l’eau et à l’électricité, ni d’équipements sanitaires minimum, ils ont intenté une action en justice contre les gouvernements provincial et national. Ils se sont fondés sur deux dispositions de la constitution sud-africaine de 1996, tous deux intégrés dans la partie consacrée à la Déclaration des droits :

  • l’article 26 sur le droit au logement qui établit notamment que : « tout le monde a le droit d’avoir accès à un logement adéquat. L’Etat doit prendre les mesures raisonnables -législatives et autres- dans la limite de ses ressources disponibles, pour assurer la réalisation progressive de ce droit » [1]
  • l’article 28 sur la protection des enfants qui prévoit notamment que : « tout enfant a le droit à une alimentation, à un abri à des soins de santé et à des services sociaux minimum »

En première instance, le tribunal a considéré que :

  • les instances administratives avaient pris toutes les mesures raisonnables dans le cadre des ressources disponibles pour permettre l’accès à un logement décent - il n’y avait donc pas de violation de l’art. 26
  • l’article 28 n’incluant pas de référence aux « ressources disponibles », les enfants avaient un droit immédiat à disposer d’un abri minimum, et leurs parents d’être logés avec eux.

Les administrations provinciale et nationale ont alors fait appel auprès de la Cour constitutionnelle qui a accepté d’examiner l’affaire. Celle-ci a pour ainsi dire « renverser » les conclusions de la cour de première instance : elle a conclu qu’il n’y avait pas une violation de l’art. 28 mais qu’il y avait par contre violation de l’art. 26. Trois points saillants du raisonnement des juges peuvent être soulignés :

  • la réalisation progressive des DESC est pour l’Etat une obligation indérogeable : « Cette affaire montre la désolation de centaines de milliers de gens qui vivent dans des conditions déplorables dans tout le pays. La Constitution oblige l’Etat à agir positivement pour améliorer ces conditions. L’obligation est de fournir un accès au logement, aux soins de santé, à une nourriture et une eau suffisante, et à la sécurité sociale pour ceux qui ne parviennent pas à assurer leurs conditions d’existence et celles des personnes qui dépendent d’eux. (...) Je suis conscient qu’il est extrêmement difficile pour l’Etat de remplir ces obligations étant donné les conditions prévalant dans notre pays. Ceci est reconnu par la Constitution qui dispose expressément que l’Etat n’est pas obligé d’aller au-delà de ses ressources disponibles ni de réaliser ces droits immédiatement. J’insiste cependant, malgré toutes ces précisions, sur le fait que ce sont là des droits, et que la Constitution oblige à leur donner effet. Ceci est une obligation que les tribunaux peuvent, et dans les circonstances adéquates, doivent exécuter ».
  • La réalisation progressive des DESC ne signifie pas qu’il y ait bénéfices minimum immédiatement exigibles mais impose par contre à l’Etat d’avoir, au minimum, mis en place un programme cohérent et adapté : « ni l’art. 26 ni l’art. 28 ne donne aux plaignants le droit de réclamer un abri ou un logement immédiatement, sur simple demande (...) Néanmoins, l’art. 26 oblige bien l’Etat à concevoir et mettre en œuvre un programme cohérent et coordonné destiné à remplir les obligations qui lui incombent au titre de l’art. 26 ».
  • Les mesures prises par l’Etat ne peuvent pas être considérées comme adéquates ou raisonnables si elles ne bénéficient pas aux plus démunis : « le programme (d’habitat) qui a été adopté et qui était en vigueur dans la zone métropolitaine du Cap au moment du dépôt de cette plainte ne répondait pas pleinement (aux obligations découlant de l’art. 26) ... il échouait en effet à fournir quelque sorte de secours que ce soit à ceux qui avaient désespérément besoin d’accès au logement ».

La Cour a donc conclu qu’en ne répondant pas au besoin des plus démunis, la politique de logement mise en œuvre par l’Etat ne répondait pas à l’obligation de prendre « toutes les mesures raisonnables dans la limite des ressources disponibles ». Elle a ordonné aux administrations provinciale et nationale de « concevoir, financer, mettre en œuvre et superviser des mesures pour fournir un secours à ceux qui en ont désespérément besoin ». Elle a également disposé de mesures intérimaires pour améliorer le sort de la communauté (fourniture de draps, de toilettes et de points d’eau, etc.) et qu’une parcelle de terre devrait leur être prochainement fournie. La Commission des droits de l’homme sud-africaine a accepté de superviser l’application du jugement de la Cour.

Analyse juridique :

L’affaire Grootboom est un cas de référence dans la lutte pour la justiciabilité des DESCE en Afrique du sud et dans le monde. Parmi les principaux acquis découlant de cette sentence, citons :

1/ consacrer la justiciabilité des DESCE et l’existence d’obligations positives incombant aux Etats.

En Afrique du Sud, les droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux sont protégés dans la Déclaration des droits qui est insérée dans la constitution et est expressément justiciable. Tôt saisie pour établir si même les sections de la Déclaration des droits consacrées aux DESC sont justiciables, la Cour Constitutionnelle avait répondu par l’affirmative. Dans l’affaire Grootboom, l’enjeu n’était donc pas de tester la justiciabilité des DESCE mais d’établir que les Etats avaient en la matière non seulement l’obligation de respecter et l’obligation de protéger mais aussi celle de donner effet (obligation positive). Il s’agissait pour cela de préciser la notion de réalisation progressive définie par deux critères : l’adoption de « mesures raisonnables » et l’utilisation de « toutes les ressources disponibles ». La Cour constitutionnelle sud-africaine s’est pour cela appuyée sur les observations générales émises par le Comité DESC des Nations unies et ses interprétations des « obligations positives » afférentes aux différents droits. Un enjeu complémentaire était de déterminer si les tribunaux pouvaient prononcer des décisions qui auraient une influence sur l’allocation des ressources publiques. Cette question était particulièrement brûlante en Afrique du sud, car dans un arrêt précédent (Soobramoney v. Minister of Health, KwaZulu-Natal, 1998), la Cour constitutionnelle avait appliqué strictement le principe de la déférence judiciaire dont font habituellement preuve les tribunaux. Ce principe établit que les tribunaux n’examine pas, en substance, le caractère « raisonnable » ou « adéquat » des politiques ou dépenses publiques, car celles-ci relèvent de la seule compétence du gouvernement. Ainsi, le ministère de la santé provincial arguant que toutes les ressources disponibles étaient déjà affectées, la Cour avait conclu qu’il n’y avait pas violation du droit à la santé tel que défini par la constitution, sans examiner si l’allocation des ressources avait été adéquate. Dans l’affaire Grootboom, les juges ont clairement réaffirmé que leur mission incluait d’imposer à l’Etat ses obligations positives, même si cela signifiait inspecter en détail les politiques publiques et susciter une réallocation des ressources ou des dépenses supplémentaires.

2/ préciser la notion de « mesures raisonnables » [2]

Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a considéré avec soin les politiques gouvernementales. Elle a en effet souligné que la notion de réalisation progressive impliquait que le gouvernement devait, au minimum, adopter des programmes cohérents et adaptés aux besoins. Mais elle est allée plus loin, en établissant que ces programmes ne pouvaient être qualifiés de « raisonnables », donc conformes aux dispositions constitutionnelles, que s’ils prenaient en compte les populations dont les besoins sont les plus grands et les plus urgents et dont les droits sont les moins réalisés. Dans l’affaire Grootboom, les administrations provinciales et nationales avaient exposé devant la Cour les politiques publiques qu’elles mettaient à mettre en œuvre en matière de logement et prouvé, sur la base de statistiques, que ces politiques avaient contribué à améliorer les conditions de logement et de vie dans la zone métropolitaine de Cape Town. La Cour a cependant estimé que de telles politiques, même si elles avaient un effet positif en termes statistiques, ne pouvaient être considérées comme « raisonnables » si elles échouaient à prendre en compte les situations les plus désespérées. Ce raisonnement fournit un argument essentiel pour revendiquer en justice les droits des plus démunis et pour faire pression sur les gouvernements pour qu’ils leur accordent plus d’importance. En Afrique du sud, ce jugement a abouti à des réformes structurelles des politiques et des budgets publics en matière de logement, avec la création de « fonds d’urgence » dans la plupart des provinces et des municipalités sud-africaines [3]. Il a aussi servi de point d’appui dans d’autres cas judiciaires, notamment pour obtenir des médicaments antirétroviraux pour les femmes enceintes porteuses du VIH (Treatment Action Campaign et al. v. Minister of Health et al., 2002). La sentence Grootboom sert également servi de point d’appui aux organisations qui plaident pour un renforcement des mesures sociales : elle leur permet d’exiger qu’au minimum le gouvernement formule des plans d’action globaux et cohérents, conçus avec la participation des intéressés.

Signalons pour conclure deux limites importantes de ce jugement. D’abord, malgré le jugement favorable de la Cour, les conditions de vie des habitants de Grootboom n’ont presque pas changé. Les mesures intérimaires ont été appliquées avec retard et n’ont eu qu’un effet limité. Les commentateurs expliquent cette situation par le fait que cette affaire n’a été accompagnée par aucune mobilisation sociale qui aurait permis d’exercer une pression supplémentaire sur le gouvernement et de surveiller la mise en œuvre de la sentence de la Cour. Par ailleurs, la Cour n’avait pas fixé de mécanismes ni de délais spécifiques pour l’application de son arrêt et des mesures intérimaires. Une deuxième limite, juridique, de l’affaire Grootboom réside dans le fait que la Cour a refusé de considérer que les DESCE protégés par la constitution donnait droit à des « bénéfices minimum, immédiatement exigibles ». C’est là une grande différence avec le Comité des DESC qui parle, lui, d’obligations fondamentales minimum incombant aux Etats pour la réalisation de chacun des droits. La Cour constitutionnelle sud-africaine a, à nouveau, refusé d’accepter le principe d’obligations minimum dans l’affaire Treatment Action Campaign et al. v. Minister of Health. La reconnaissance de ce principe est aujourd’hui un des objectifs majeurs des défenseurs des droits humains en Afrique du sud.

Sources

Cette présentation est une traduction d’informations et d’analyses issues des textes suivants :

  • Présentation de l’affaire dans la base de données d’ESCR-net à : http://www.escr-net.org
  • Présentation de l’affaire dans COHRE, Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE), 50 leading cases on Economic, Social and Cultural Rights : Summaries, Working Paper n°1, Genève, Juin 2003, p 27, à : http://www.cohre.org
  • COHRE, « South Africa : positive obligations and the right to housing », in Litigating Economic, Social and Cultural Rights : Achievements, Challenges and Strategies - Featuring 21 case studies, Genève, 2003, pp 95-104, à : http://www.cohre.org/view_page.php?...
  • Jeff KING An Activist’s Manual on the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, Law and Society Trust & CESR, mars 2003, p 150-2
  • Kameshni PILLAY Implementation of Grootboom : Implications for the enforcement of socio-economic rights, in Law, Democracy and Development, 2002 vol 6, Cape Town, 19p, disponible à : http://www.communitylawcentre.org.z...

Texte intégral du jugement disponible à : http://www.lrc.co.za/docs/judgments...

[1] Le texte de la constitution sud-africaine est disponible à : http://www.info.gov.za/documents/co... .

[2] Sur d’autres exemples d’appréciation par le juge de mesures « raisonnables », « adéquates » ou « justes », voir aussi : Cruz Bermudez et al v Ministerio de Sanidad y Asistencia Social (Venezuela, 1999), Residents of Bon Vista Mansions v SMLC (Afrique du Sud, 2001) et Cas No. 2000-08-0109 (Lituanie, 2000) -affaires citées in COHRE, 50 cases, op cit.

[3] Les provinces ont du réserver entre 0,5 et 0,75% de leurs dépenses budgétaires en matière de logement pour des projets d’urgence. Le Ministère du logement a élaboré un projet de programme national pour fournir une assistance dans les cas d’urgence. La quasi-totalité des municipalités ont créé un « fonds Grootboom » pour venir en aide aux sans-logis.

document de référence rédigé le : 1er avril 2005

date de mise en ligne : 20 avril 2005

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